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PHAEDRA
2022

Phaedra est une collection de textes poétiques qui mettent en scène des situations et conversations entre plusieurs personnages fictifs, Alina et les archanges. Les 120 poèmes de ce recueil traitent des limites de la connaissance à travers les sens physiques, ainsi que des limites symboliques du langage.











La dernière décennie a été marquée par une compréhension nouvelle des interrelations entre le passage de la comète d’Ensisheim dans l'atmosphère terrestre et la régulation du sommeil d'Alina.
En pratique clinique, elle se plaignait fréquemment à cette époque-là de troubles du sommeil, dont l’étiopathogénie reste mystérieuse.
Afin de mieux caractériser les modifications de son sommeil, l’archange de la nuit a réalisé, en plus de ses propres recherches empiriques, une revue systématique de littérature pour colliger et synthétiser l’ensemble des études portant sur l’altération de l'humeur et du sommeil d'Alina.
Il a divisé les résultats en fonction de l’altération psychique considérée, et, dans le cas de sa tristesse légendaire, il a distingué les études portant sur la phase aigüe de sa pathologie de celles s’intéressant exclusivement aux effets du passage de la comète sur son sommeil.
Son but était de définir la nature des troubles du sommeil observés, tant subjectivement par Alina (en fonction de son humeur) qu’objectivement en polysomnographie.
Pour résumer, tout le long du passage de la comète, les troubles subjectifs du sommeil étaient une plainte fréquente chez elle.
À la phase aiguë de sa pathologie, elle rapportait des insomnies d’endormissement ou des difficultés de maintien de sommeil.
En polysomnographie, les principales atteintes retrouvées chez elle étaient une altération de la continuité du sommeil, une diminution du sommeil lent profond et une augmentation du temps passé en phase d’endormissement.
Les résultats concernant son sommeil paradoxal étaient, quant à eux, plus ambigus, et l’archange de la nuit se rendait de plus en plus compte qu’il allait passer beaucoup plus de temps qu’initialement prévu pour arriver à une conclusion satisfaisante concernant ce qu’il appelait « le problème Alina ».







Son cœur limpide comme l’eau blanche
Ayant atteint l’extase par la discipline
Alina traverse les vieux quartiers en courant.
De temps à autre, elle s’arrête et fouette son ombre sur les murs
Pour apprivoiser ses démons, et garder ses os souples.
À part ça, elle est complètement dans le flow
Totalement dans sa zone
Dans ses veines coule le sang mélangé de mille taureaux déchaînés
C’est une belle journée.
Elle est suivie de très près par l’archange du sommeil et par l’archange de la mort
Bien qu’ils ne soient pas toujours derrière elle
Ça dépend des jours
Franchement ça dépend des jours.







Alina porte le deuil, vêtue et coiffée de noir. Suivant la mode du jour, un grand collier de perles et une large fraise aérienne autour du cou complètent son habit.
Elle ramène en offrande, posés sur son index gauche, deux canaris vivants.
Car, autour de la fontaine avec une tour ornementée de dragons-cygnes de part et d’autre, un des combattants est mort, plusieurs sont blessés et leurs chevaux aussi. Leurs armes, en matière périssable, ont disparu.
L’archange du désir assiste à cette scène pitoyable et sanglante, qui a peut-être une signification rituelle, ou pas.
L’air sent le soleil, le sel et l’orgueil.
Alina libère les deux canaris, qui s’éloignent, en volant, vers les cieux, proies faciles à des oiseaux plus farouches.
Puis elle sort de sous le drapé de sa robe une seringue à aiguille fine et l’insère, à travers la tempe, dans le cerveau d’un des lutteurs blessés. Celui-ci, privé de sommeil depuis le début du combat, regarde fixement son sang couler le long de sa cuisse. Alina lui prélève une infinitésimale quantité de liquide céphalo-rachidien, qu’elle injecte après dans son propre cerveau.
Enfin,
fatiguée de la fatigue du guerrier
et après d’innombrables nuits d’insomnie,
elle revient chez elle à pied
tire les rideaux
et s’endort.







Le matin du 3 juin 2021, la comète d’Ensisheim est entrée à grande vitesse dans l'atmosphère terrestre, laissant derrière elle une vive trainée lumineuse.
Cet évènement astronomique avait été très médiatisé depuis sa découverte par les chercheurs du Centre de Recherche Astrophysique de Lyon. Grâce à leur nouveau télescope, à l’heure actuelle un des plus performants du monde, le public avait pu avoir accès instantanément à des images de haute qualité de ce petit corps rocheux et glacé, qui était alors à un peu plus de 35 millions de kilomètres de notre planète, dans la constellation du Serpent, plus précisément dans celle du Serpentaire qui le dompte, en provenance de la constellation du Bouvier.
Le déplacement apparent de la comète dans le ciel a été rapide (jusqu’à 10 degrés par jour), en revanche son passage a été assez long. Elle a été ainsi observable depuis l’hémisphère nord pendant 7 mois, après quoi, le matin du 3 janvier 2022, elle a glissé vers l’hémisphère sud. Elle s’est révélée alors toutefois plus difficile à observer, car elle s’est rapprochée du Soleil avant de s’éloigner en direction de sa région d’origine, située aux confins du système solaire, le nuage d’Oort.
Le tout pour ne revenir que dans 83 000 ans.







Alina et l’archange de la mélancolie mangent du gâteau à la crème de marrons dans une pâtisserie sur rue des Capucins.
« On est bien ici » dit Alina, la bouche pleine de sucre.
Elle admire les méduses bleu-fluorescentes qui voltigent autour d’eux, revenues d’une lointaine préhistoire, quand cet endroit était couvert d’un océan sans dimensions et sans nom, lui-même vestige de l’immense goutte d’eau des origines.
L’archange de la mélancolie tient son coude droit appuyé sur la paume de sa main gauche.
Il regarde Alina éprouver de petits sentiments, par exemple une forme de fierté un peu stupide d’être la seule personne dans cette ville à voir ces créatures.
Le temps et les méduses bleu-fluorescentes passent.
Alina porte autour du poignet un capteur piézoélectrique, qui définit son rythme circadien.
Elle est attendue de l’autre côté de la ville, elle a un rendez-vous important.
Mais elle ne s’inquiète pas car, pour une fois, elle sait qu’on va l’attendre même si elle a un million de semaines de retard.






L’archange de la fureur dit à Alina :
« Tu m’as donné tellement d’armes contre toi, comme si tu m’implorais que je te détruise, mais je ne veux pas de ce cadeau, je ne peux pas l’accepter, adieu. »
En sortant de chez elle, un peu plus loin en face du bureau de tabac dans l'angle de la Montée de la Grande Côte, il fut attaqué par le spectre du cheval sauvage sorti des profondeurs de la terre.
Ils ont combattu férocement pour le reste de la journée, le duel a été grandiose. L’archange de la fureur a laissé son sang, sa dignité et son intégrité sur l’asphalte du trottoir, sous les yeux des passants curieux.
A un certain moment, une pensée fugace (qui n’avait rien à voir avec la mécanique de la lutte) lui a traversé le cerveau comme une épine.
Il se disait que le spectre du cheval sauvage ressemblait étonnamment à Alina, et il se demandait qui il était en train de tuer, le monstre, Alina, ou bien l’idée d’Alina.







Alina rend visite à l’archange du désir avec le corps entier peint en rouge, tout rouge, pour quelque célébration d’idolâtrie qui a eu lieu le jour même.
En arrivant, elle s’excuse sincèrement, « je n’ai malheureusement pas eu le temps de passer chez moi me laver », mais cela ne semble pas déranger son hôte, qui l’invite à s’installer confortablement sur le matelas placé de travers et directement sur le sol, en plein milieu de la pièce.
Aucun autre objet n’encombre l’espace, sauf une dizaine de gigantesques amanites qui poussent directement du parquet.
D’abord Alina reste bouche béate devant tant de splendeur végétale, cette explosion de matière biologique vivante lui donne le vertige. Elle s’approche d’un de ces champignons toxiques et, sans oser le toucher, sans même s'hasarder à respirer à pleins poumons, elle admire de près son chapeau écarlate à pois blancs posé délicatement sur le long pied poreux.
« C’est quoi ce bordel, j’hallucine ou quoi » se dit-elle.
Une fois ce moment de contemplation fini, elle s’allonge sur le matelas, à côté de l'archange du désir.
Elle regarde ses propres ondes delta émaner de son crâne vers le plafond et puis redescendre, comme des gouttes de rosée, sur les chapeaux des amanites.
Pendant ce temps-là, la forme de son corps peint en rouge s’imprègne sur le drap blanc qui couvre le matelas.
Quand elle se lève et repart chez elle, elle laisse derrière le souvenir de sa présence, comme un linceul, parmi les jolis champignons géants.
Elle sait qu’elle ne reviendra plus jamais dans cet endroit.







Alina est un petit taureau en cristal, avec des cornes en cristal, protégée par une armure en cristal.
Sur des rythmes binaires et ternaires de musique chaabi algérienne, elle glisse dans la narcose vulgaire de ses obsessions préferées.
Elle est bien sans avoir envie de respirer, hyper adaptée au monde urbain.
Pendant qu’on y est, il faut préciser que son sommeil lent profond est augmenté tant en durée qu’en pourcentage relatif dans les situations de dépense énergétique et d’anabolisme élevé.
De plus, il est intéressant de noter que la sécrétion de ses hormones de croissance a lieu principalement durant ses phases de sommeil lent profond.
L’archange de la nuit propose ainsi que le sommeil d’Alina puisse avoir une fonction restauratrice en favorisant la synthèse protéique.
Par la suite, il postule que le principal rôle de son sommeil est la conservation de l’énergie.
En effet, les espèces homéothermes (donc elle aussi) paieraient un lourd tribut énergétique pour assurer l’endothermie.
Le sommeil permettrait une diminution des dépenses énergétiques du fait d’une diminution du métabolisme de base, fixant une limite aux dépenses énergétiques au-delà de laquelle Alina s’endort.
Parallèlement, l’archange de la nuit formule l’hypothèse que la fonction principale de son sommeil serait la récupération énergétique via la reconstitution des stocks de glycogène au niveau astrocytaire.
Ces théories firent l’objet de nombreuses objections de la part d’Alina.
A son modèle de conservation de l’énergie, elle lui oppose que son métabolisme cérébral est augmenté durant le sommeil paradoxal, et qu’au final le peu d’énergie économisée durant le sommeil ne peut en faire sa fonction principale.
De même, à sa théorie restauratrice, elle lui objecte que la synthèse protéique est en fait plus importante durant la journée qu’au cours de la nuit.
A vrai dire, Alina, ce petit taureau en cristal, avec ses cornes en cristal, protégée par son armure en cristal, le trouve parfois assez bête et ennuyant, et elle le lui dit.
« Tu sais parler aux hommes toi », lui reproche-t-il.
« Je t’en prie ! » lui répond-elle, euphorique et cérébrale, car elle possède la plus noble des vertus : descendre en apnée jusqu’à 200 mètres dans la profondeur de l'océan préhistorique qui couvrait Lyon durant le Jurassique, avec une seule inspiration, pour revenir ensuite à la surface majestueuse et pleine de rage.







L’archange de la mort pense à Alina Alina Alina Alina Alina
Alina qui a le don de clairvoyance
Alina qui attend que la palme de la victoire lui tombe du ciel
Alina qui fait zéro effort
Alina qui monte avec élégance l’impitoyable hiérarchie sociale, un plan cul à la fois
Alina qui était son destin & his fate
Alina qui est le chien noir qui aboie sauvagement dans ses veines
Alina qui est le démon qui nage sereinement dans ses artères
Alina qui était son gilet de sauvetage
Alina qui est comme un arbre de laurier à cœur ouvert
Alina qui, avec son collier de paracétamol et psychotropes, est un chef-d'œuvre de l’art paléolithique
Alina qui est aussi originale qu’une patiente en cardiologie amoureuse de son cardiologue
Alina qui un beau jour a cessé d’être fière de lui
Alina qui s’en bat les couilles de ce qu’il pense d’elle
Alina qu’il a portée sur ses épaules comme une noyée
Alina qui est animée par le devoir sacré de la vengeance
Alina qui, par les aléas de la mécanique sophistiquée de ses cellules, se fait de plus en plus belle, pendant que lui-même se fait de plus en plus laid
Alina qu’il a poussée dans le précipice du haut de la montagne et qui, à sa grande horreur, y a survécu
Alina que seulement un fleuve sépare de lui
Alina qui était sa tasse de chocolat chaud un soir d’hiver
Alina qui, la dernière fois qu’ils se sont vus, lui a dit, avec sa voix dure et rouillée, « Ne t’approche jamais de moi, ne passe jamais dans ma rue, ne prononce jamais mon nom ».
Pendant ce temps-là, avec la supériorité morale conférée par son indice de masse corporelle, son niveau d’études, son niveau d’extraversion et son état de santé général, Alina pense à Alina Alina Alina Alina Alina.







L’archange du silence, des bracelets à grelots autour des chevilles, marche quelques pas derrière Alina, sans qu’elle s’en aperçoive.
Il regarde avec une certaine amertume son grand cœur et son gros cul.
Dommage dommage dommage qu’elle n’en fasse pas bon usage, se dit l’archange du silence, qui effraye les serpents avec le tintement de ses grelots.
Il est quand même immensément fier de ce qu’il a accompli dans le peu de temps depuis qu’il la suit.
Il a réussi à apaiser ce fou furieux, et ce n’est pas peu de chose.
Si au moins Alina en était consciente, elle pourrait dire « Merci c’est trop gentil », elle pourrait éventuellement lui payer un verre en terrasse ou bien une glace italienne.
Hélas, elle est bien occupée à porter ses propres cellules hippocampiques à travers la ville, durant les phases de son sommeil profond, pendant que l’archange du silence marche derrière elle et effraye les serpents avec ses grelots.







« Si tu savais ce que j’ai fait, si tu savais ce que j’ai fait », murmure l’archange de la tristesse, debout devant la montagne.
« Si tu savais ce que je suis, si tu savais ce que je suis » dit-il, car il a perdu son honneur aux yeux d’Alina qui, un pas derrière lui, regarde à la fois sa nuque et la montagne.
« Parce que celui qui est entouré d’honneur, n'a besoin de rien », ajoute avec tristesse l’archange de la tristesse, car il sait qu’avoir perdu son honneur devant les yeux d’une seule personne, équivaut à l’avoir perdu avec tout le monde, et pour toujours.







Le sang de ses veines aussi rouge que l’intérieur des cerises noires,
Alina s’éparpille.
Elle traverse la ville en pas de danse, pour échapper à la réalité, comme une Maria Callas heureuse.
Mais le contentement n’est pas son combat.
L’autre jour elle était habillée en robe en soie couleur toxique
Et elle sentait comme un pétale de rose déjà distillé.
Sa seule certitude, pas forcément agréable, est d’être comme le popcorn,
Une fois qu’on l’a goûtée on ne peut plus s’arrêter.







L’archange du vent dit à Alina :
« J’étais juste là
Bon je ne sais pas comment te le dire
Comment te l’expliquer
Que j’étais juste là
Juste à te regarder
En pensant que tu n’allais pas le voir
Que tu n’allais pas le sentir
Que tu n’allais pas rencontrer mon regard et te moquer de moi
Du coup je te regardais en cachette
Et un matin avant que tu te réveilles j’ai fixé si longtemps un endroit sur ton cou qu’une petite trace rouge est apparue
Une petite brûlure
“Un drôle d’insecte m’a piqué”, tu expliquais
Et moi j’étais juste là
Juste à te regarder. »







L’archange de la nuit propose à Alina un modèle de régulation du cycle veille sommeil postulant que les mécanismes de régulation circadien et homéostatique seraient indépendants entre eux, et qu'en leur interaction résiderait la régulation du cycle veille sommeil.
Schématiquement, les processus circadien et homéostatique seraient en opposition de phase, les effets de l’un contrecarrant les effets de l’autre.
Au cours de la journée, la pression de sommeil générée par la régulation homéostatique du sommeil augmenterait, accroissant progressivement la propension à s’endormir.
Parallèlement, la régulation circadienne serait à l’origine d’une pression d’éveil qui elle aussi augmenterait au cours de la journée, venant annuler les effets de la pression de sommeil.
La diminution de luminosité en début de nuit entrainerait une augmentation de la sécrétion de mélatonine. La pression d’éveil s’effondrerait, et, ne permettant de plus de contrecarrer les effets de la pression de sommeil, induirait ainsi l’endormissement.
Inversement, en fin de nuit, la diminution de la pression de sommeil et la réaugmentation de la pression d’éveil serait à l’origine du réveil d'Alina Alina Alina Alina Alina Alina Alina Alina Alina Alina Alina Alina.







Une nuit de fin d’octobre, en rentrant d’une fête qui avait eu lieu dans un appartement pas loin des Halles de la Martinière, Alina rencontra par hasard l’archange des rêves.
Sage et pâle, il portait une blouse roumaine brodée, son chien-oiseau en laisse et une épée en plastique à laser luminescent.
« Sympa ce truc, j’ai le même, je l’utilise en lampe de chevet », lui dit Alina, en pointant vers son arme de combat.
L’archange des rêves sourit et s’éloigna, pour aller par terre et mer, procurant sommeil aux hommes et aux choses.
Alina traîna encore quelque temps dans la ville déserte qui, comme au théâtre, était faite en pain d’épices.
Elle était sa propre ligne de cocaïne bien méritée oh yeah, elle pensait à la participation du sommeil dans les mécanismes de plasticité synaptique.
Cette nuit de fin d’octobre, à elle seule, elle maintenait l’amour dans le monde.







L’archange de la solitude est docteur en questions du cœur et Alina est docteur en questions du cul, toussa pour dire que leur conversation sur le prix de l’immobilier à Lyon est assez acharnée.
Quand le silence arrive, et en accord avec les lois de la gravité, Alina tombe par terre et l'archange de la solitude tombe sur elle.
À l’intérieur d’eux, pourtant, tout est calme, tout est serein.
En sortant de chez lui, la pluie est noire, et dans sa tête Alina lui écrit une lettre d’adieu, comme chaque soir.
Avant de la poster, elle la couvre de sa salive, « on se reverra », se dit-elle avec sa fameuse pensée magique, à vrai dire elle a raison.







Les nuages sont bas et monstrueux.
Alina marche vers chez elle le long de la rue Leynaud, hyper à fond mais lentement, comme si elle était faite d’or pur, comme si elle possédait tout sur quoi son œil se pose.
Elle porte des chaussettes en rubis et sa propre personne dans les bras.
Son cerveau, léger et miraculeux comme une bulle de savon, est l’auteur de tous ses désastres et elle en est fière.
« Meuf je t’adore, tu es ma supernova, mon cupcake au lilas » se dit-elle à elle-même.
« Et n’oublies pas, plusieurs mois après mon décès, que mes ossements soient recueillis et déposés dans un rondin creux, peint de mes principaux motifs claniques, afin que je réintègre le réservoir spirituel de mon clan. Au terme de la cérémonie clôturant le cycle funéraire, abandonne mes os aux éléments, et va te promener en ville, fais les boutiques, achète-toi un beau jean moulant ou quelques crayons de couleur, puis recommence tout dès le début, de toute façon tu as l’habitude ! »
La lumière diminue, c’est le début de la nuit.
Alina arrive chez elle et allume le chauffage.
Son corps sécrète de la mélatonine comme s’il n’y avait pas de lendemain
La pression de l’éveil s’effondre
Et elle s’endort.







L’archange de la nostalgie dit à Alina :
« J’écoute la Suite en Ré Mineur de Saint-Colombe
Et je suis grave et ténébreux
Mais cela ne veut rien dire
Car je suis toujours comme ça, comme tu le sais bien
Je n’ai jamais été autrement
Même dans la plus immense joie
Je suis funèbre comme un navire naufragé, qu’aucun touriste égaré sur la plage ne prend en photo.
Quels sentiments absurdes, mon dieu, toi et moi et notre différence aussi.
De mon côté, je conçois mon propre personnage, chaque jour.
Je ne te vois plus, c’est mieux, pourtant tu me dis que tu es là, que tu as toujours été là.
Au plus profond de ma conscience, que je questionne plusieurs fois par jour,
Ton regard me pique comme une épine.
Tu me contemples comme si j’étais un précieux objet du désir
Mais c’est faux c’est faux c’est faux c’est faux
Tout le monde peut m’avoir, il faut juste me montrer un peu d’indulgence
Fouette-moi à cause de ça. »
Et Alina, cette écervelée sans pitié, le fouetta jusqu’au sang.







Alina, fondue dans le magma jaunâtre de l’automne, est d'une humeur massacrante, comme une vedette de la souffrance.
Elle soupçonne du polyester dans son manteau en laine,
Du lactose dans son lait d’amande,
Du nickel dans son médaillon représentant une victoire ailée, qu’elle porte à son cou sur un cordon fin.
Son cortex, libéré de toute afférence excitatrice, va spontanément osciller dans une gamme de fréquences delta,
Tout son système thalamo-cortical génère des ondes lentes,
« Ne regarde pas dans mes visions, c’est intime » dit-elle à l’archange de la mélancolie
Qui étend autour d’elle une pellicule invisible d’amour féroce.
Il a les meilleures intentions,
Il veut lui apprendre que la descente dans la matière est une chute et qu’il faut s’extraire du corps,
Mais Alina est mauvaise élève et tombe plutôt dans les poupées russes de l’incompréhension,
« Ta gueule ! » hurle-t-elle agacée
Pendant que dans le ciel passent les derniers oiseaux migrateurs.







Alina porte une robe de bal couleur mauvéine.
Elle a découvert cette couleur par hasard, en travaillant sur la quinine afin de trouver un remède contre sa tristesse.
Elle n’y parvient pas et, par dépit, oxyde de l’aniline, laquelle laisse un résidu brunâtre au fond de l’éprouvette.
En voulant le nettoyer à l’alcool, une solution d’un violet profond apparaît.
Elle passa le reste de l’après-midi à produire une quantité suffisante de mauvéine, pour teindre le tissu de sa robe.
Et la voilà à ce cocktail dînatoire immersif, triste comme un hérisson écrasé sur l’autoroute, en train de parler de ses recherches au conseiller en tulipes du prince Charles, qui est collant comme s’il n’avait pas d’ego.
Pendant que les mains de l’autre montent le long de ses cuisses, Alina ressent une étrange atonie musculaire, ainsi qu’une abolition de ses mécanismes de thermorégulation.
Dehors, les cloches de l’église Saint-François-de-Sales sonnent, il est probablement 23 heures.
Alina pousse le conseiller en tulipes du prince Charles comme s'il était un meuble encombrant, et s'en va traîner sa robe couleur mauvéine dans la boue.







Comparativement au sommeil lent, les résultats sur le sommeil paradoxal d’Alina étaient plus ambigus.
Sur l’ensemble des études en polysomnographie, seulement deux retrouvaient une diminution de son sommeil paradoxal.
A l’exception d’une étude, aucun raccourcissement de la latence d’apparition du sommeil paradoxal n’était retrouvé chez elle, son sommeil ne différant pas ou peu du sommeil des autres sujets, en dehors d’éveils nocturnes plus fréquents et plus longs.
Afin de tester plus en avant l’hypothèse d’une étiologie commune [aux troubles associés au passage de la comète d’Ensisheim], l’archange de la nuit réalisa des tests d’induction cholinergique du sommeil paradoxal.
Il démontra ainsi que, chez des patients [ayant la même pathologie qu’Alina], la perfusion d’un agent cholinergique provoquait un raccourcissement de la latence d’apparition du sommeil paradoxal, ce raccourcissement étant plus prononcé que chez des sujets non-sensibles au passage de la comète.
Ces tests ne permirent pas de mettre en évidence de différences entre Alina et les sujets sains.
Enfin, il rechercha dans d'autres études des corrélats physiopathologiques entre la tristesse absurde et quelque part vulgaire d’Alina et ses troubles du sommeil.
Par exemple, dans une étude de neuro-imagerie, il retrouva une augmentation du sommeil lent profond et une diminution du sommeil paradoxal chez les patientes qui, comme Alina, présentant un élargissement ventriculaire comparativement à celles qui en étaient indemnes.







Tôt le matin, l’archange de la mort appuie son coude sur le cœur d’Alina.
Il la regarde, de ses yeux se dégagent une grande gentillesse et une timidité paralysante.
« Tu me fais mal », gémit-elle, encore endormie.
L’archange de la mort s’excuse et s’éloigne.
Comme tous les grands timides, il va très loin parfois.







Alina est tellement fatiguée qu’elle ferme les yeux en traversant le Pont Morand.
À son cou s’agrippe une forme humanoïde à corps duveteux et aux ailes de canari, c’est l’archange du sommeil.
Arrivée à la maison, elle dépose son précieux fardeau sur le canapé.
Plus tard, en sirotant du lait chaud au miel, elle dit à son invité :
« À la place du cerveau j’ai une plaie ouverte, qui saigne sans cesse.
Chaque matin je me réveille dans une flaque de sang, tous les oreillers sont tachés, c’est une catastrophe.
Mais au moins ce corps est à moi ; on me l’a confié, et je le mérite.
Cet endroit est à moi ; on me l’a confié, et je le mérite.
Cet amour est à moi ; on me l’a confié, et je le mérite.
Tu peux être fier de moi. »
La lumière est visqueuse et Alina commence à oublier petit à petit ses fâcheux états d’âme.
Pendant cette longue journée, son activité neuronale a entraîné une dégradation des molécules de glycogène au niveau astrocytaire, avec libération concomitante d’adénosine. Ceci a eu comme conséquence une hyperpolarisation des systèmes thalamo-corticaux, provoquant maintenant chez elle la genèse d’ondes lentes et de sommeil profond.







Suite à une lésion passagère dans sa structure hypothalamique, couramment appelée noyau préoptique ventrolatéral, Alina souffre d’une fâcheuse insomnie de presque trois semaines.
Pour en guérir de manière non-invasive, en concordance avec la mode du jour, elle sort de la ville et va s’abriter pendant quelque temps dans un refuge devant la montagne.
À l’intérieur elle est immobile et d’une immense tranquillité, elle fixe les cimes.
Mais son esprit n’est plus là, il plane sur les invariables trois royaumes, qui ne sont pas séparés mais communiquent entre eux : le monde des vivants, celui des morts et celui des archanges.
De retour en ville, elle se rend compte qu’elle a attrapé froid pendant son séjour, elle tousse comme un poète maudit du 19ème siècle.
Mais au moins ça fait taire les gémissements dans sa tête.







« Juste marcher dans la rue est une fête », se dit Alina, envahie par un ample sentiment de bonne humeur, pendant que ses neurones dégradent du glycogène et accumulent de l’adénosine.
Signe de haut rang, un anneau en cuivre perce son nez et un large labret est inséré dans sa lèvre inférieure.
Chose sûre, elle est médiocre au lit, mais elle a de l’imagination dans plein d’autres domaines, par exemple elle sait mariner des sardines dans du pastis.
En plus, elle possède tout un arsenal de drôles de petits gestes miraculeux et souvent elle comprend le sens au-delà des mots.
Elle s’arrête pendant quelques minutes devant la cathédrale Saint-Jean, elle mange une glace en regardant une exécution quelconque.
Des constellations gravitent autour de ses yeux, et puis s’en vont pour laisser place à d’autres.







Dans un jardin à paons, sous l’arc-en-ciel
Ses pieds placés dans une élégante quatrième position
Les bras étendus obliquement de chaque côté du corps
Ses doigts répartis avec art et sa tête se dirigeant dans la direction opposée à l’appui du corps
Alina approfondit l’art de l’actimétrie à l’aide du capteur piézoélectrique qu’elle porte au poignet.
Sa vulgarité et sa sensualité sont ses seules qualités morales et elles l’ont ramenée jusqu’ici
Jusque dans ce jardin à paons, sous cet arc-en-ciel
« Quelle superbe combinaison de valeurs » déclare l’archange des mystères
« Bof, franchement j’aurais préféré être un subtil mélange d'intuition et d’intelligence
Mais on ne peut pas tout avoir
Non, on ne peut pas tout avoir », soupire Alina
Qui est complètement perchée mais au moins elle le sait.







À son adresse fictive, un jour fictif, à la grande surprise d’Alina, une goutte de sang venait de tomber de son œil gauche sur sa chemise blanche.
À ce moment-là, elle entendit sonner à la porte, c’était l’archange des rêves qui venait lui rendre visite.
Il tenait son chien-oiseau en laisse et il a regardé avec surprise la larme rouge et épaisse qui coulait le long de sa joue,
« Putain qu’est-ce que tu nous as fait encore ? » lui demanda-t-il, puis ils ont bu du chocolat chaud très épicé et ils se sont marrés comme des baleines, ça leur a fait du bien.
Alina raconta un peu sa vie, elle choqua son invité, qui lui chanta-hurla dessus, avec une voix cristalline et invraisemblable de contreténor : « Ouha meuf, c’est quoi cette inertie mentale ? »
Pendant le temps de cette visite, deux planètes orbitant autour d'une étoile de la constellation du Bélier à 300 années-lumière de la Terre sont entrées en collision.
« Les astronomes n'ont jamais rien vu de similaire. Apparemment, des collisions catastrophiques peuvent se produire dans un système planétaire arrivé complètement à maturité », a affirmé Benjamin Zuckerman, professeur de physique et d'astronomie à l'Université de Californie à Los Angeles (UCLA).







Si la régulation circadienne contrôle les horaires de survenue du sommeil et de l’éveil, la régulation homéostatique va elle définir les besoins de sommeil d’Alina.
Ceux-ci dépendent d’une part du temps passé éveillé depuis la dernière période de sommeil, et d’autre part, de la durée de celle-ci.
La régulation homéostatique se fait via un mécanisme de pression de sommeil, qui va augmenter de manière exponentielle au cours de la journée, et diminuer là aussi de manière exponentielle au cours de la nuit suivante.
Cette pression de sommeil a été modélisée à partir d’enregistrement électroencéphalographique sur 24 heures, durant lesquels il a été constaté que la quantité d’activité à onde lente (aussi appelée activité delta) augmentait durant l’éveil et diminuait rapidement durant les premières heures du sommeil.
En cas d’allongement de la période d’éveil, cette pression de sommeil (tout comme l’activité delta) va continuer à augmenter, avec un effet saturant entrainant une majoration de la somnolence.







Tout comme un scientifique médiéval ne saurait faire la chronique d’une éclipse solaire sans malmener les données mathématiques et autres prévisions astronomiques, l’archange de la tristesse ne peut lui-même pas parler d’Alina autrement qu’avec la maladresse et les imperfections de ses souvenirs.
Par exemple, la première fois qu’il l’a vue, il se souvient avec certitude que son sang s’est mis à bouillir, prêt à recouvrir le monde.
Elle jaillit de nulle part, sans l’écho normal de la distance dans ses pas : elle n’existait qu’à moitié et, roulée en deux, elle aurait pu loger dans l’orbite de ses yeux. En s’excusant, Alina s’est frayé un chemin à travers la clientèle feutrée de cet obscur café de la gare, panneaux muraux et mobilier lourd, dans lequel il attendait depuis quelques heures qu’un train l’emmène plus loin.
Elle s’est assise à sa table sans demander quoi que ce soit,
la peau lilas et les yeux solennels comme un convoi funéraire,
sentant le savon parfumé,
des paillettes phosphorescentes dans ses cheveux et une goutte de miel sur la lèvre inférieure,
le cou gracieux et les mains glacées,
pleine de rage et le ventre humide,
délirante et indécente,
les tendons douloureux et de profondes et mystérieuses cicatrices sur son bras gauche, comme si quelques heures avant elle avait enlevé les nombreux bracelets de plomb lourd qu’elle portait depuis sa tendre enfance.
Pendant qu'elle dévisageait l’archange de la tristesse, Alina lui a raconté cette histoire, d’un ton alarmé, sans aucune introduction, comme si c’était quelque mystère d’alchimie :
« Il y avait jadis un marécage au centre de la ville, entouré d’épais roseaux, où les canards sauvages et les hérons venaient faire leurs nids. On a coupé les roseaux et asséché le marécage et on a mis des graviers sur le sol et construit des maisons et des routes. Chaque été, les canards sauvages et les hérons volent comme fous au-dessus de la ville, dans le brouillard, à la recherche de leurs nids perdus. »
L’archange de la tristesse se rétractait, tremblant et pétrifié, puis cherchait refuge dans le doux confort du bon sens et d’un non de la tête, il répondait :
« Qui vous a raconté toutes ces bêtises ? Pour autant que je le sache, il n’y a jamais eu le moindre marécage dans cette ville ou même dans toute la région. Le sol est calcaire ici. »
Alina avait l’air surprise, elle ne s’attendait pas à ce qu’on la contredise, vu toute la nostalgie et la maturité qu’elle avait mis dans son histoire fausse ; lui caressant la joue du revers de la main, il ajoutait :
« Désolé, je ne voulais pas vous faire de peine. Je ne suis dans cette ville que depuis deux jours seulement, il se trouve simplement que je m’y connais un peu en ce qui concerne les sols, voilà tout… »
D’étranges pensées coulaient déjà entre leurs yeux, comme le sable d’un sablier, tête bêche.
Bien sûr, plus tard, il assemblait de nombreuses versions et mythes de leur première rencontre, et tout ce qu’on vient de lire pourrait bien être faux, fabriqué de toute pièce, pur produit de son imagination.
« Bientôt, cet endroit va se remplir d’une faune étrange, saoulards et ensorceleurs, dit Alina, mieux vaut aller chez moi, ça va vous plaire, ce n’est pas trop loin. »
Ils se sont levés et ont marché le long de rues en labyrinthe, scrutant ensemble l’imprévisible silhouette de ce qui commençait.
Ils se sont arrêtés devant un bâtiment sombre aux fenêtres hautes, en haut de la rue Leynaud. « J’habite ici, au dernier étage. »
Ils ont gravi l’escalier en colimaçon jusqu'à son appartement. Elle a ouvert la grande porte bleue et l’a fait rentrer.
Il souriait. Ils n’avaient tout à coup plus rien à se dire.
Après quelques heures, il est entré en transe, et il a vu Alina sur le rivage, qu’un brouillard tiède entourait.
Depuis l’autre rive lui parvenait une voix diffuse, qui appelait :
« Fais battre tes ailes de feu, viens à moi ! »
Pour finir, Alina lui a caressé les cheveux, a allumé une lampe colorée puis s’est dirigée vers la cuisine pour faire du thé.
L'archange de la tristesse devenait bientôt le satellite de son univers quotidien et restait dans son appartement, une certaine quantité de temps illimité, bien que chaque jour il se promettait : « ça doit s’arrêter, ça ne doit plus se reproduire. »







L’archange de la solitude demande à Alina :
« Est-ce que toi aussi tu vois des signes de partout
Est-ce que toi aussi tu fais attention aux formes à courbures négatives
Est-ce que toi non plus tu ne respectes aucune règle et aucun interdit
Est-ce que toi aussi tu prends le train de temps en temps juste pour avoir d’où rentrer à la maison le soir
Est-ce que toi aussi tu es comme une cathédrale qui s’écroule en commençant par sa somptueuse rosace en vitrail
Est-ce que toi aussi tu écoutes des prières de guerre dans les écouteurs
Est-ce que toi aussi tu t’évanouis de solitude le soir, quand les ombres deviennent rouges
Est-ce que toi aussi tu portes un collier en dents de requin, pour te protéger des démons
Est-ce que toi aussi tu te demandes sérieusement si tu ne devrais pas partir en auto-stop sur les routes de l’ouest américain, en quête d’une nouvelle vie
Est-ce que toi aussi tu t’arrêtes toujours devant les cours déserts, pour regarder les fantômes jouer au tennis
Est-ce que toi aussi tu te demandes comment on passe de l’éveil au sommeil et réciproquement
Est-ce que toi aussi tu te sens parfois vidée de toute forme de vie organique
Est-ce que toi aussi tu penses en constructions abstraites libérées de la masse et du mouvement
Est-ce que toi aussi tu remplis un contour unique difficilement rattachable à une forme préexistante. »







Pendant la journée, Alina est la cousine germaine de Jolene Jolene Joleeeeeeeene.
Elle s’occupe comme elle peut, elle fait du shopping en ligne, elle s’achète des velours pastel, des broderies joyeuses, des roses rococo et d’autres choses encore.
Mais elle ne réussit pas à apaiser dans son cœur toutes ces pensées qui lui font du mal.
Elle passe alors toute la nuit en veille.
Lorsque, au petit matin, elle veut dormir, par nature et par faiblesse féminine, elle dit à l’archange du sommeil : « Viens ici, esclave méchant. »
Et, assise sur son fauteuil, elle prend un peu de repos et se réveille aussitôt.
Car, pendant qu’elle dort, l’archange du sommeil lui fait l’amour con la mirada, con la mirada, con la mirada.
Elle qui pensait être la seule à avoir été élevée par les loups, la voilà languir avec un frère de lait et de sang sous le même toit.







Alina porte en elle un minuscule diamant couvert de honte et de boue.
Des fois elle a passé sa vie à le polir soigneusement et des fois elle l’a sali encore plus, et alors.
À quelques mètres de son balcon commencent les terres inconnues qui appartiennent encore aux petits animaux sauvages, dont elle ne reconnait pas le chant nocturne.
Dans sa bouche persiste le goût intense et cheap d’un bonbon à la cerise, ainsi que le goût de l’archange de la pudeur.
« Comment lui annoncer, comment lui cacher » se demande Alina, « putain ça doit se voir à l’œil nu depuis l’espace. »







Pour analyser plus en profondeur l’influence du passage de la comète d’Ensisheim sur les fluctuations d’humeur d’Alina, l’archange des rêves lui demande de remplir un agenda du sommeil le matin, où elle doit noter l’heure du coucher et l’heure du lever.
Lors de cette technique d’exploration subjective, il lui est aussi possible d’indiquer la qualité de son sommeil et d’éventuels éveils nocturnes. De même, une sieste ou des épisodes de somnolence au cours de la journée pourront aussi être renseignés.
L’archange des rêves demande à Alina de remplir cet agenda du sommeil sur une durée de deux semaines, pour qu’il ait ainsi une vision globale de son rythme veille-sommeil.
Son comportement pourrait sembler confusément déplacé, envahissant même.
Il faut malgré cela mentionner que l’archange des rêves et Alina sont des jumeaux hétérozygotes nés simultanément de mères différentes et incapables de fonctionner dignement l’un sans l’autre.
Juste pour clarifier, ils se sont rencontrés lors de l’assèchement de l’océan indifférencié des origines préhistoriques et, même loin de ce milieu familier, humide et riche en nourriture, ils vivotent dans une forme de symbiose monstrueuse, qu’ils appellent, de manière probablement erronée, « amour ».







Avec ses bas de soie, ses souliers à talons et sa libido d’ogre, Alina était sortie faire les boutiques, son visage décoré d’une peinture bleu clair et d’une éternelle ironie bon marché.
Tout à coup, sa promenade prit une tournure macabre.
Elle vit l’archange des prophéties en plein milieu de la Place des Jacobins, à côté de la grande fontaine, en train de parler à une petite foule de passants curieux.
Ayant découvert récemment que le tronc cérébral était nécessaire et suffisant à la genèse du sommeil paradoxal, il allait prouver ses théories devant ce public de fortune.
Un diaporama powerpoint avec des graphiques, schémas et diverses explications approfondies était projeté simultanément sur les façades de deux bâtiments de la place. Sur une troisième façade, une vidéo en direct de la table d’opération sur laquelle se trouvait un chat noir endormi, le crâne couvert d’électrodes. Sur une quatrième façade, un électroencéphalogramme de son activité cérébrale.
« Ladies & gentlemen », annonça l’archange des prophéties, « on va procéder maintenant à une observation du cerveau de notre sujet par imagerie fonctionnelle. Avant votre bienveillante arrivée ici, on avait retiré à ce chat toutes les structures cérébrales supérieures à l’exception du tronc, et il continue à présenter des phases de sommeil paradoxal ! »
La suite de son récit était criblée de collisions, d’aléas techniques, de désynchronisations qui rappelaient sa capacité à raconter des histoires sans fin.
Il révéla par exemple qu’une structure en particulier était responsable du déclenchement du sommeil paradoxal : le noyau sublatérodorsal. En fonction de la lésion de celui-ci, il constatait en effet soit une disparition totale du sommeil paradoxal, soit une disparition de l’atonie musculaire. Le noyau sublatérodorsal serait sous le contrôle de plusieurs populations de neurones « SP off » et « SP on ». Ces derniers possèderaient une horloge endogène spécifique permettant d’évaluer les besoins de l’organisme en sommeil paradoxal.
Alina contemplait l’immense électroencéphalogramme projeté sur la façade d'un bâtiment bourgeois qu'elle n'avait jamais remarqué auparavant, à vrai dire elle trouvait cette présentation érudite aussi intéressante qu’une frite froide.
Un peu plus loin, quelques ballons gonflés à l’hélium se détachèrent du bouquet coloré du vendeur, qui fixait, bouche béate de fascination, la même projection.
« Ô merveille, le ciel ressemble à une peinture de Van Gogh ! » se dit Alina, en regardant s’éloigner vers le haut les ballons.







Alina monte la montagne sous la pluie, elle tire derrière elle une hyène par sa laisse.
« Dépêche-toi, je ne vais pas t’attendre cent ans ! » crie-t-elle sur l’hyène, qui s’arrête souvent pour renifler des odeurs inconnues de bêtes cachées dans les buissons.
Sur le chemin rocailleux surgit l’archange des mystères, ses ailes comme des éclairs.
« Toi ici », dit-il de son habituel air morose.
« Je pourrais dire pareil », répond Alina.
« Tu te trimballes encore avec cette petite saloperie », remarque-t-il, en s’éloignant déjà.
Alina continue son ascension et, après quelques heures, elle libère son hyène.
Celle-ci part allègrement, enfin, elle aurait pu montrer un peu d’attachement.
Par la suite, Alina se confronte à la pluie, à la grêle, au vent.
Elle grimpe en appuyant les paumes de ses mains sur ses cuisses, au niveau du bas des quadriceps, au-dessus des genoux. Elle contourne, elle trouve son rythme, elle respire plus lentement pour parvenir au sommet.
Ensuite elle redescend, pour décrire le mouvement continu de son corps et celui de la montagne.







Laide comme Janis Joplin, Alina porte un pendentif en cristal de roche dans son manubrium sternal.
Du jour au lendemain elle est devenue quantité négligeable, elle a jeté derrière elle sa volonté et elle a obtenu le repos, après la fatigue du combat.
Elle s’est construite alors de son propre corps un monastère.
Maintenant elle y habite avec ses pensées, et ce qui l’entoure est l’œuvre de ses mains.
Chaque jour elle recommence tout avec ivresse, dans la pureté de sa langue et avec vigilance, ne rendant pas le mal pour le mal et réalisant ses propres vouloirs selon la chair.
Possédant toute vertu, même sans rien annoncer ouvertement, elle a réussi à guérir de ses insomnies.
L’archange de la nuit, jamais trop loin d’elle, note scrupuleusement toutes ses métamorphoses, qu’il observe sans intervenir.
Il se rend compte ainsi que l’endormissement puis le sommeil d’Alina sont induits par l’augmentation des concentrations extracellulaires d’adénosine et l’intégration au sein du complexe des noyaux supra chiasmatiques, des noyaux subparaventiculaires et du noyau dorsomédial de l’hypothalamus de différents synchroniseurs externes, au premier rang desquels le passage jour-nuit, entrainant in fine une activation du noyau préoptique ventrolatéral.
Ce dernier irait alors inhiber l’activité des réseaux de l’éveil via des projections gabaergiques, permettant au système thalamo-cortical de s’affranchir des afférences excitatrices.
Celui-ci peut donc se synchroniser et osciller à sa fréquence propre, soit un rythme delta.
La dégradation de l’adénosine au cours de la nuit, associée à l’augmentation de la luminosité en fin de nuit, entraîne alors une bascule avec comme conséquence une inhibition du noyau préoptique ventrolatéral par les circuits de l’éveil, et la survenue de celui-ci.
Ce modèle proposé par l‘archange de la nuit n’explique pas la venue du sommeil paradoxal d’Alina, caractérisé par une activité électroencéphalographique proche de l’éveil.
Celui-ci serait en fait généré par un réseau propre : le réseau du sommeil paradoxal.







On disait d’Alina qu’elle passa quarante jours sans lever les yeux pour voir le ciel au-dessus de Lyon, et que pendant ce temps, elle ne laissait jamais sa pensée se fixer sur sa cellule intérieure pour voir ce qu’elle contenait.
Et chaque jour, elle entreprenait d’exercer une vertu, disant : « Je ne coucherai avec personne durant cette journée, même si on m’implore d’enlever ma culotte en satin et en dentelle » ; ou bien « Je ne parlerai à personne du démon de l’amour qui a beugué mes entrailles » ; ou bien « Je ne mangerai pas de nourriture cuite ».
Et pour toutes les pratiques, elle agissait ainsi, jour après jour.
Et à la fin de cette pratique elle décida de se lancer en solo et de créer une startup de santé mentale et bien-être, car son cerveau s’était momifié en une petite sphère en acier bio-ionisée, qui peut la blâmer.
Elle envoya alors l’archange de la pudeur dans les rues, pour prêcher aux passants :
« Alina est méga dans le présent, consciente de l’espace qui l’entoure et de la matière qui la constitue.
Elle est la santé cachée dans un corps souffrant, la source de tous les abîmes.
Moins elle demande et plus on lui donne, si au moins elle avait su cette vérité à l’époque.
Même ses pensées les plus atroces, les plus mesquines, les plus criminelles, sont d’une splendide tristesse.
Quelque action qu’elle souhaite entreprendre, elle ordonne tout autour de ses lois, et elle ne s’attarde pas dans les conflits.
Faites comme elle : voyez tous les moments où vous vivez dans la peur et défaites-vous de ce fardeau inutile ! »
Celle qu’il venait juste de mentionner avait regardé son discours depuis son balcon, en soufflant des bulles de savon.







Pas forcément satisfaite de ses douleurs, ni de l’excès de son amour, Alina est un peu lost, un peu à l’ouest.
Elle a saboté sa réputation mais ses remords ne sont pas véritables.
Elle est plutôt fière, car plus tôt dans la journée elle a croisé l’archange de la musique dans la rue et elle était magnifique avec son épée, son bouclier, son casque empanaché et son corps-cuirassé soutenu par des bretelles.
D’ailleurs on voyait sa culotte à travers sa jupe transparente, et alors.
De toute façon, dans cette ville dominée par les apparences, chaque occasion de se donner en spectacle nécessite de porter une attention particulière à l’élaboration de sa posture.
Durant cet événement quelque part anonyme, trivial même, les gènes actifs d’Alina étaient liés au métabolisme énergétique et aux mécanismes cérébraux excitateurs.
De retour à la maison, elle dirige ses ressources énergétiques vers les mécanismes de réparation cellulaire, les fonctions immunitaires et la réorganisation du réseau neuronal, les gènes transcris durant son sommeil étant, quant à eux, occupés avec la synthèse protéique, la plasticité synaptique et le métabolisme membranaire.







Au coin de la rue Leynaud, là où s’élevait à l’époque le temple d’Auguste, Alina et l’archange de la danse se tiennent debout sans vaciller.
L’espace tactile les sépare, le soleil est blanc, ils se regardent.
Même coiffure, mêmes bracelets en bronze, même expression impénétrable.
Visages et cous fiers se répondent en miroir, et quels gestes étranges.
De sa main gauche, Alina pince le téton de l’archange de la danse qui, lui, tient entre son pouce et son index une bague en argent et en turquoise, qu’il montre aux passants.
Il faut préciser qu’Alina a un comportement éminemment mimétique, et que, tant qu’il tient debout, elle tient debout.
Ça a toujours été comme ça.







Un lion à tête étrangement humaine est endormi en plein milieu de la pièce.
Pendant le temps de son rêve, Alina, sans bouger de son bureau en bois sculpté, sort des profondeurs d’une terre indifférenciée.
En voyageant dans l’esprit du lion, elle laisse dans la matière grise de celui-ci les traces de son passage et de ses actions, nommant ses ressentis et ses peurs et instituant les lois et les valeurs régissant sa vie.
Fière comme si elle avait inventé l’électroencéphalographie, Alina se sent libre, infiniment libre, car personne ne l’aime et elle n’aime personne.
Ceci est sûrement faux, mais le monde en dehors de cette pièce est hostile et elle est vulnérable, bien que championne de l’univers en équitation et en équations.
« Je vais rester à côté de toi jusqu’à ce que le danger passe », dit-elle au lion endormi, en lui montrant son cœur du doigt.
Consciente que ce geste est plutôt prétentieux, elle reste quand même figée dans cette posture pour le reste de l’après-midi.







La participation du sommeil dans les mécanismes de plasticité synaptique pourrait rendre compte d’une autre fonction du sommeil, celle qu’il pourrait jouer dans les mécanismes d’apprentissage et de consolidation mnésique.
Dès le début du passage de la comète d’Ensisheim au plus près de la terre, l’archange de la nuit démontra chez Alina la réactivation au cours du sommeil à onde lente de certaines cellules hippocampiques.
Ces cellules, dites cellules de lieux, déchargent spécifiquement en fonction de l’endroit de la ville où Alina se situe, formant ainsi une carte qui se modifie en fonction de ses déplacements.
L’archange de la nuit montra que, pendant qu’Alina explore son environnement (car, ne s’avouant jamais perdante, elle ne s’attarde pas dans les conflits, et en elle tout s’apaise, la vie organique, les pensées, les désirs, la mémoire, l’espace, le temps) ses cellules de lieux ayant été activées seront réactivées préférentiellement durant les phases de sommeil lent profond faisant suite à l’expérience.
Ces résultats furent ultérieurement étendus à ses cellules corticales, avec la mise en évidence d’une coordination entre les réactivations corticales et hippocampiques.
L’archange de la nuit étendit les résultats qui avaient été obtenus chez Alina en montrant, chez les autres patients souffrant de la même pathologie, l’existence d’une réactivation durant le sommeil à onde lente des zones hippocampiques qui avaient été activées au cours d’une tâche de mémorisation spatiale.
De plus, il mit en évidence une corrélation entre le degré d’activation hippocampique en sommeil lent profond et l’amélioration des performances au cours de la journée suivante.
Pendant que l’archange de la nuit communiquait ses conclusions à ses confrères, lors d’un congrès médical quelconque, Alina traversait en pas de danse l’Arche de la Mort-qui-Trompe, pour rejoindre, aux sons des cloches, la fête des merveilles. Bien évidemment, en dehors d’une interminable cape XXXXL en vermine et velours, ses seules parures étaient ses fameuses cellules hippocampiques de lieu, mentionnées quelques paragraphes plus haut.







Alina s’est retirée pendant 14 jours dans un monastère sur la montagne, pout méditer et ne manger qu’une pomme par jour, afin de guérir de ses insomnies.
En arrivant, on lui a montré sa chambre, il y avait 14 pommes sur la table.
« Facile », se dit-elle.
Le premier jour elle a médité, elle a pensé, elle a mangé sa pomme, elle se sentait vertueuse et invincible. Le lendemain elle a perdu patience et elle a mangé le reste des pommes, elles avaient la peau parfumée et la chair exquise.
Le troisième jour elle s’est réveillée trop tard, elle a erré dans l’établissement, elle a volé de la nourriture dans la cuisine commune, elle s’est occupée comme elle a pu, elle se disait que de toute façon la fin du monde était proche et qu’on allait tous crever.
Le quatrième jour elle a pleuré un peu, elle a pensé à tout ce qu’elle allait manger en sortant de là-bas, elle est tombée amoureuse du professeur de méditation le matin et d’un autre type le soir.
Le cinquième jour elle a demandé d’autres pommes pour reprendre son régime, elle a été étonnée que ça soit si facile de recevoir dix pommes, juste en demandant gentiment.
Pendant son séjour dans le monastère, l’orbite de la Terre a croisé des trainées poussiéreuses laissées par la comète d'Ensisheim. C’est ainsi que, les nuits où, malgré son jeûne, elle ne pouvait pas dormir, Alina a pu observer à l'œil nu d’abondantes pluies d’étoiles filantes Alpha Capricornides, avec jusqu’à 50 météores par heure.
En même temps, dans l’infiniment petit de son corps, plusieurs processus adaptatifs ont été enclenchés par son cerveau afin de mobiliser des ressources en glucose vers ses fonctions vitales, pour faire face à la privation de nourriture. La somatotrophine (ou hormone de croissance) a stimulé la lipolyse, qui elle-même a stimulé la gluconéogenèse, permettant ainsi le maintien d’une concentration normale de glucose dans le sang. L’axe hypothalamo-pituitaire-surrénalien a été lui aussi activé, avec pour résultat une augmentation des taux de cortisol.
Depuis le jardin du monastère, couverte d’un plaid chaud, Alina regardait le ciel étoilé. Chaque fois qu’elle voyait une étoile filante passer, elle souriait, par pure mélancolie, et faisait un souhait, toujours le même.







Le sommeil paradoxal des personnes atteintes d’une pathologie associée au passage de la comète d’Ensisheim est caractérisé en électroencéphalogramme par une latence de son apparition raccourcie et une augmentation de la densité des mouvements oculaires rapides.
De telles altérations furent donc recherchées chez Alina.
Cependant, à l’exception d’une étude, aucun raccourcissement de la latence d’apparition de son sommeil paradoxal ne fut retrouvé.
Concernant la densité des mouvements oculaires rapides, une seule étude rapporta une tendance à l’augmentation de la densité des mouvements oculaires chez elle comparativement aux témoins. Par la suite, l’archange de la nuit réalisa des tests d'induction du sommeil paradoxal par un agent cholinergique entrainant une survenue plus précoce du premier stade de ce sommeil.
Néanmoins, Alina serait plus sensible à cet agent par rapport aux sujets sains, c'est à dire que la réduction de la latence d'apparition du sommeil paradoxal serait, suite à l'injection de cet agent, plus marqué chez les sujets qui, comme elle, sont atteints d’une pathologie associée au passage de la comète d’Ensisheim.







Alina est d’humeur à courir à travers le Louvre tout nue, alors elle demande à l’archange de la musique de lui composer un concert à une seule note.
De toute façon elle sait qu’elle n’est que de passage dans cette ville.
Tant qu’à faire, utiliser son somptueux cul (son seul bijou et son unique atout) pour une bonne cause.
D’abord, l’archange de la musique remarque « T’es complètement cinglée ».
Mais Alina sait empiriquement que ce qui doit arriver arrivera, et qu’on ne peut ni forcer les événements, ni leur résister.
Car résister c’est ralentir, et forcer c’est abîmer.
Elle sait aussi que parfois ce qui doit arriver n’arrive pas, ce qui est bien dommage.
Quelques jours passent, pendant lesquels Alina, nourrie de fruits exotiques et de perturbateurs endocriniens, naît et renaît plusieurs fois.
En fin de semaine, l’archange de la musique vient déposer devant sa porte son concert à une seule note.
Alina, ayant déjà oublié son souhait, écoute cette musique avec étonnement.
L’unique note se glisse dans ses oreilles comme un délicat serpent d’eau, elle n’a jamais entendu un son aussi raffiné.
Pendant ce temps, dans son nid qu’il a construit tout seul quelques semaines auparavant sur les berges de la Saône, un cygne contemple la constellation du Cygne.
Cet étrange oiseau galactique aux ailes largement déployées, qui traverse la voie lactée dans un nuage lumineux fait d'étoiles, d’amas stellaires et de nébuleuses, se reflète dans l’œil immobile du cygne, pendant qu'Alina écoute en boucle son concert à une seule note.







L’archange du sommeil dit à Alina :
« J’ai toujours un merle à mon épaule, avec l’espoir que son chant te ramènera à moi.
Quand on vivait ensemble, tu écoutais tes interminables enregistrements de chants d’oiseaux.
Je les trouvais ennuyeux et kitsch ; maintenant ils me manquent, évidemment, juste comme ta voix me manque, ta voix mélodieuse et répétitive comme une boîte à musique en métal précieux.
En t’écoutant, je devenais imbécile d’amour, ma salive me coulait sur le menton. Tu étais pour moi l’équivalent humain d’un bâtonnet d’encens purifiant l’air de mon appartement de tous ses anciens démons. Tu le remplissais de ton rire et de tes chants d’oiseaux.
Tu ne me comprenais pas, ni ce que je faisais. “Des chiffres, des chiffres”, tu disais, innocente comme une sirène. Parfois ça me blessait, je te pardonnais.
Tout compte fait, je peux mettre des mots sur cette douleur. »







Quel est le rôle du sommeil ?
Cette question pourtant simple en apparence revêt encore un voile de mystère. Y répondre nécessite de tenir compte de l’hétérogénéité du sommeil, ce dernier se composant de sommeil lent et de sommeil paradoxal.
Le sommeil est un comportement qui est retrouvé chez toutes les espèces, avec une régulation homéostatique conservée à travers les âges. Une telle pérennité semblerait plaider en faveur d’une fonction essentielle du sommeil à la survie.
Il est possible de regrouper les théories sur la fonction du sommeil en deux grands cadres : la fonction de restauration/récupération et de conservation de l’énergie et la fonction de consolidation mnésique et de plasticité synaptique.
C’est à ces choses et à d’autres encore que réfléchit l’archange de la nuit, pendant qu’Alina prépare le repas du soir : burrata à la sauce framboise en entrée et risotto au chou-fleur grillé et graines de grenade en plat principal. En dessert, son fameux tiramisu à la fleur d’oranger et au sang de ses veines.
Pendant ses exploits d’alchimie culinaire, Alina reste silencieuse.
Elle se rend compte que l’archange de la nuit ne lui pardonnera jamais ses propres erreurs de raisonnement et de comportement.
Qu’il utilisera son cerveau de 17 kilos exclusivement pour s’arranger avec la réalité et la rendre coupable.
Mais, à vrai dire, cela ne la dérange pas plus que ça : tant qu’elle vit éternellement dans son souvenir, tout lui va.
Elle se tourne enfin vers lui, enlève son tablier de cuisine et lui dit : « Tirami sù veut dire en italien “tire-moi vers le haut et sauve-moi, car je meurs d’amour et c’est bien dommage”. J’espère que tu aimeras. »







Un après-midi de novembre, Alina promène en laisse son cerveau malade
Quand tout d’un coup, devant son cinéma préféré, celui qui a fermé l’année dernière,
Elle rencontre l’archange du silence
Dont le beau visage a les couleurs du drapeau français
Yeux rouges, lèvres blanches, peau bleue
« Tu me fais peur », lui dit-elle avec coquetterie
A quoi il répond, quelque part ennuyé, « Ouais on me le dit souvent ces derniers temps »,
Car il est en deuil
Et aussi en deuil de son deuil
Alina met sa main autour de la joue gauche de l’archange du silence
Qui ferme les yeux un instant et les ouvre aussitôt
« Tu penses que tu vas réussir à me calmer, c’est ça que tu penses ? » lui demande-t-il
Mais Alina ne pense rien car en vérité chez elle il n’y a pas la lumière à tous les étages
S’il y en avait ça se saurait
Elle porte une jolie chemise à imprimé floral boutonnée jusqu’en haut
Sous laquelle son corps hurle comme un loup enragé qui a senti le sang
Il se met à pleuvoir, une pluie mesquine et froide
Alina dit au revoir et deux trois politesses encore
L’archange du silence sourit
Même son sourire est en deuil.







Le premier jour de la semaine, l’archange de la mort accompagnait Alina qui montait la montagne.
Lorsqu’ils se séparèrent, il dit : « Faisons l’amour, ici et maintenant, avant que tu poursuives ton chemin toute seule ! »
Et c’est exactement ce qu’ils firent, joyeusement.
Le samedi suivant, s’étant levé de bon matin, l’archange de la mort alla chez Alina et lui demanda : « Est-ce que tu as couché ailleurs, depuis ce lundi-là sur la montagne ? »
Et Alina dit : « Non ».
Mais l’archange de la mort ne la crut pas, car il savait que son corps était de feu et d’ambre, et que n’importe qui s’approchait d’elle éprouvait aussitôt la pensée de la mordre là où ça lui faisait le plus de mal, et qu’elle ne se refusait à personne.







Avec ses baskets troués, sa chemise en soie rouge et ses boucles d'oreilles en perles, Alina est la Mona Lisa des licornes.
D’où, quelques heures auparavant seulement elle avait eu honte de ses potes stupides et de ses pores dilatés, la voilà maintenant allongée honorablement sur le canapé de l’archange de la nuit, qui théorise sur quels seraient les mécanismes permettant de passer de l’éveil au sommeil et réciproquement.
Il se dit que, d’après le processus de régulation du sommeil, le cycle veille sommeil est soumis à un double contrôle, reposant sur deux composantes : une régulation circadienne via l’horloge circadienne, et une régulation homéostatique via la pression de sommeil.
Pendant qu’il effleure chastement le pied droit d’Alina, qui est sa sœur de folie, il propose que l’interaction entre ces deux mécanismes soit responsable de l’alternance veille sommeil, en modulant l’activité du noyau préoptique ventrolatéral.
La régulation homéostatique reposerait sur l’adénosine, produit de dégradation de l’adénosine mono phosphate au sein des neurones et des cellules gliales.
Plus les cellules nerveuses seraient actives, plus la production d’adénosine serait augmentée.
Celle-ci irait se lier à au moins 4 types de récepteurs, dont les récepteurs A1 et A2a. Le premier aurait une activité inhibitrice et serait largement distribué dans le cerveau, tandis que le second serait surtout localisé aux noyaux gris centraux, où se situe le noyau préoptique ventrolatéral.
Ainsi, l’augmentation de l’adénosine au cours de l’éveil entrainerait-elle une diminution de l’activité des réseaux de l’éveil via les récepteurs A1, et une augmentation de l’activité du noyau préoptique ventrolatéral via les récepteurs A2a, conduisant à l’endormissement.
La régulation circadienne repose quant à elle sur l’horloge circadienne, qui serait générée par les noyaux supra chiasmatiques. Une lésion de ces derniers entraine en effet une abolition du cycle veille sommeil sans toutefois influer sur la durée de sommeil lent et paradoxal, ni sur les phénomènes de rebond après une privation de sommeil.
Les noyaux supra chiasmatiques agiraient via des projections sur deux structures, les noyaux subparaventiculaires et le noyau dorsomédial de l’hypothalamus.
Ce dernier enverrait des projections gabaergique inhibitrice vers le noyau préoptique ventrolatéral, permettant de moduler son activité en fonction de divers synchroniseurs externes photiques comme non photiques.
L’archange de la nuit arrête de parler et regarde Alina qui s’est endormie.
Il se dit qu'elle est comme une bougie qu’on a oublié d’éteindre dans une chambre vide : elle ne sert à rien et pourtant elle a un potentiel infini à foutre la merde.







Alina promène son cul en béton, sa tête de patate et son nom couvert de honte dans le cimetière de la Croix-Rousse, comme à chaque fois qu’elle est découragée par sa tristesse.
De temps en temps, elle s’arrête devant une tombe mal entretenue et la nettoie méticuleusement, pendant que des larmes inconsolables coulent le long de ses joues.
Quel gâchis, quel dommage, au lieu de se fortifier pour les combats de ce monde, elle est poussée au désespoir par le passage de la comète d’Ensisheim dans les cieux.
Elle laisse alors couler ses larmes épaisses comme le miel sur les tombes des inconnus, car elle sait que le plus grand péché est de pleurer sans raison.
Et que des larmes sans raison naissent les pires démons.







Alina a commis une grave erreur en partant sur la route avant d’être prête.
Elle ne connaissait pas le chemin, pourtant elle l’a fait les yeux clos, la plupart du temps.
Un premier pas a engendré un second, puis un troisième et enfin tous les autres.
Le principe de la marche s’est effacé peu à peu.
Ça a été très dur, comme si elle était constamment sous l’eau.
Enfin, avec son air d’intello à la con, elle s’arrête pour boire un jus protéiné aux épinards.
Une fois qu’elle a repris son souffle elle met un masque-costume représentant son arrière-grand-mère, lors d’une cérémonie pendant laquelle celle-ci revient une heure et demi parmi les vivants, car elle est morte noyée à 15 ans, peu de temps après son accouchement, et ce monde lui manque, vu qu’elle n’a pas eu le temps de s’en lasser.
À la fin, Alina s’écroule à terre et on la transporte dans le royaume des ancêtres, d’où elle fait mille doigts d’honneur avec ses mille mains, dans toutes les directions
Pour entretenir et renforcer les muscles fléchisseurs et les muscles extenseurs
De ses mille bras.







L’archange des rêves est inquiet car Alina dort mal
Du coup ils ne se rencontrent que rarement et vite fait
Ce soir il vient plus tôt que d’habitude, pour l’initier aux techniques d’exploration du sommeil
« Ay que calor » se dit Alina en soulevant les sourcils
Quand elle le voit arriver avec sa posture michélangelesque, son torse nu et son serpent vénéneux autour du cou
L’archange des rêves lui fait subir un interrogatoire minutieux explorant ses habitudes de vie et les possibles manquements aux règles d’hygiène du sommeil
À l’issue de cet examen, il s’appuie sur des méthodes d’exploration subjectives et objectives afin de compléter son investigation
Il évalue la qualité globale de son sommeil, sa somnolence, il définit son chronotype
Lors de la polysomnographie, il enregistre plusieurs de ses variables physiologiques, dont son rythme respiratoire, son rythme cardiaque et son électroencéphalogramme
Cet examen clinique recherche des arguments en faveur d’une possible pathologie du sommeil sous-jacente Alina ne comprend rien à ce qu'il dit et en plus il se fait tard
Cette situation la stresse un peu, elle se sent diminuée
C’est à ce moment-là qu’elle reçoit par texto une dick pic
Et se met à rire comme une débile.







L’archange de la solitude souffrait d’une grave maladie : ses entrailles saignaient abondamment de désir pour Alina.
Il chercha alors à la rendre prisonnière, en se disant que, de toute façon, c’était la meilleure chose qui aurait pu arriver à cette petite idiote.
Un samedi nuageux, il remplit les poches de son manteau de bonbons de toutes sortes, et il les éparpilla un par un depuis la porte d’Alina jusqu’à chez lui.
Par bêtise et gourmandise, elle les ramassa sans réfléchir, et ses pas la portèrent jusque dans la rue de l’archange de la solitude, puis dans l’appartement de celui-ci, et à la fin, dans une petite crypte cachée tout au fond de son salon.
Il l’attendait là-bas, debout et tremblant, il était étonné lui-même par le succès facile de son audace.
Alina, contente de le trouver, se mit à sautiller, l’entrainant avec elle dans des soubresauts joyeux, la crypte était pleine de paillettes.
Ils dansaient et des bonbons tombaient encore des poches de l’archange de la solitude, c’était beau, c’était idiot et c’était beau.
Parfois leurs pieds restaient cloués au sol sur des bonbons.
Dehors, il y avait la brume et le monde structuré des routes lyonnaises, c’était infernal, ils étaient mieux dedans, dans la chaleur humide de la crypte.
Alina dansait, de sa moelle spinale elle dansait, de ses chevilles elle dansait, de son cervelait elle dansait, ainsi dansait Alina. L’archange de la solitude souriait bêtement et rêvait de manger sa chair cuite dans du miel et du vin. Il était séduit par les délices de ses fantasmes, à vrai dire, il était presque heureux, si jamais le bonheur existe.
Tout d’un coup, Alina s’arrêta et le regarda tourner autour aveuglément d’elle.
Sans mot dire, elle le laissa derrière et enferma la porte de la crypte à clé.
Dehors dans la rue, elle sortit un petit peigne en bois de son sac rempli de bonbons et commença à se peigner, sans se soucier des passants, elle était en pleine réflexion.
Elle pensait : « Ce fou a voulu me prendre prisonnière, mais ne sait-il pas que m’avoir comme prisonnière l’aurait rendu mon prisonnier pour le reste de nos vies ? Car une prisonnière, on doit la garder en vie, la nourrir, l’entretenir, la chérir, on doit lui acheter de jolis jouets et lui satisfaire tous les besoins primaires et imaginaires, et ceci prend du temps, beaucoup de temps, tout le temps. »







Le cycle veille sommeil est soumis à un double contrôle, qui repose sur deux composantes : le processus circadien et le processus homéostatique.
La régulation circadienne (du latin circa “proche de”, et dies “jour “) est assurée via l’horloge circadienne, qui va fixer les horaires du sommeil et de l’éveil au cours des 24 heures.
La régulation homéostatique est assurée via la pression de sommeil, qui va définir les besoins de sommeil d'Alina.
Ces deux composantes vont interagir ensemble afin d’adapter son sommeil tant aux besoins de son organisme qu’à son environnement.







L’archange du vent ressemble à toi et moi sauf qu’il a laissé son enveloppe de chair sur la montagne.
Maintenant, à l’aide de ses énormes ailes en soie turquoise, il fait léviter son squelette en or au-dessus de la ville, qui est un corps géant à un million de corps.
Alina, qui est sereine et reçoit les choses comme elles viennent, le voit passer dans les airs.
« T’es beau comme un cœur ! » lui crie-t-elle depuis sa fenêtre, sans questionner la logique de ses yeux.







Dans le silence profond d’une nuit d’automne après la pluie, Alina se fait des manifestes monumentaux et voit des signes dans les moindres coïncidences.
Ce soir, à vrai dire, elle se sent relativement immortelle, bien qu’elle ne connaisse pas les idoles pop de la nouvelle génération.
Elle jette sa robe en pagaille sur un fauteuil
Enlève son rouge à lèvres nacré avec un coton démaquillant
Se brosse les dents
Prend son médicament pour règles douloureuses
Et entre, pieds nus, dans la forêt de cyprès du sommeil.
Derrière elle subsistent des orchidées blanches dans un pot, des bouteilles miniatures de parfum onéreux, des boîtes en métal colorées, une lampe allumée, une tuile en faïence azulejo qui représente une scène de chasse.







La régulation circadienne intéresse de nombreuses activités, ne se limitant pas uniquement à la régulation du cycle veille-sommeil. Celle-ci s’applique en effet à des fonctions aussi diverses que la sécrétion hormonale (et notamment la mélatonine), les performances cognitives ou la division cellulaire et la réparation de l’ADN.
Elle s’effectue via l’horloge circadienne, qui chez l’humain se situe au niveau des noyaux supra chiasmatiques de l’hypothalamus.
L’horloge circadienne peut se définir via deux principales propriétés : une activité rythmique caractérisée par une période endogène proche de 24 heures et la nécessité d’être synchronisée.
L’activité rythmique de l’horloge circadienne est secondaire à des cascades moléculaires ayant lieu au sein des neurones des noyaux supra chiasmatiques.
Des gènes horloges, via des mécanismes complexes de synthèse protéique et de rétrocontrôles positifs et négatifs, y sont alternativement exprimés puis inhibés, générant ainsi la rythmicité de l’horloge circadienne.
Le rythme de celle-ci, aussi appelée période endogène, dépend de la cinétique des boucles de contrôle et rétrocontrôle. Celui-ci est en moyenne de 24,2 heures chez l’humain, 95% de la population ayant une période comprise entre 23h30 et 24h30. Les sujets avec une période courte seront classiquement du matin tandis que ceux avec une période longue seront plus volontiers du soir.
La période endogène n’étant pas exactement de 24h, un mécanisme de synchronisation est indispensable afin que l’individu ne se décale pas progressivement. En effet, en l’absence de ce mécanisme, un individu dont la période endogène serait de 24h30 se décalerait de 30 minutes tous les jours, d’où la nécessité d’avancer l’horloge quotidiennement de 30 minutes.
Quant à elle, Alina aimerait bien se réveiller tôt, prendre un petit déjeuner sain et faire son jogging avant d’enchainer sur d’autres choses.
Mais elle n’est pas du matin.







C’était une matinée froide et brillante. Entourés de rideaux transparents et de coussins recouverts de tissu luxueux, Alina et l’archange de la mélancolie buvaient de la tisane à la menthe poivrée, avec beaucoup de sucre. A la radio, la météo annonçait du vent et de la pluie pour les prochains jours.
Alina se tatouait son signe du zodiaque sur la poitrine,
« Je veux être belle pour toi, rien que pour toi », dit-elle.
« Je ne te crois pas. Hier, je t’ai vue regarder avec envie les danseurs déambulant dans les rues avec leur musique et leur bruit de bonheur. »
Alina a baissé le regard et la paume de sa main est venue couvrir son pubis.
« Pardonne-moi, je ne pensais pas que ça allait te faire quelque chose, alors je ne me suis pas cachée… »
L’archange de la mélancolie a fait un large et sublime geste de dégoût, mais, ce faisant, il renversait un cendrier de porcelaine orientale, qui s’est brisé sur le sol. Alina était furieuse, c’était un souvenir d’un voyage fait plusieurs années avant leur rencontre.
« Combien de fois t’ai-je dit de faire attention à ce cendrier ?
Combien de fois t’ai-je dit que tu allais le casser ? »
Pour lui montrer à quel point il était désolé, l’archange de la mélancolie se déchaussa et piétina les brisures.
Alina a lavé le sang de ses pieds puis recouvert sa peau d’une crème douce aux huiles essentielles parfumées.
« J’ai failli te tuer, murmura-t-elle dans sa tête, mais, comme je ne crois pas à la justice humaine, je me suis cloîtrée dans ma propre prison, me nourrissant seulement de pain rassis et d’eau croupie… »
« N’aie pas peur, répondait-il, je ne remets pas en cause tes actes, dis-moi seulement ce qu’il faut que je sache… »







Les cloches de l’église réveillent Alina et interrompent ses mécanismes de consolidation mnésique et de plasticité cérébrale.
L’archange des mystères, ses ailes comme des éclairs, dort à côté d’elle, chastement enveloppé d’un drap blanc, son corps est croustillant et parfumé comme un croissant.
L’autre soir ils sont allés au parc voir la plus longue éclipse de lune du 21ème siècle, celle qu’on appelait « la lune rouge ».
Le ciel était couvert.
Ils sont restés sur l’herbe, regardant les nuages menaçants, Alina portait une couronne dorée en carton, elle était heureuse.







La synchronisation de l’horloge circadienne (qui est un mécanisme de régulation de processus quotidiens) repose sur des synchroniseurs externes, au premier rang desquels se trouve la lumière.
Celle-ci est détectée au niveau de la rétine interne par des cellules spécifiques, les cellules ganglionnaires à mélanopsine. Il semblerait que celles-ci se projettent directement au niveau de différentes structures impliquées dans la régulation des états de veille et sommeil, dont les noyaux supra chiasmatiques, via des voies différentes des voies visuelles, dites non visuelles.
L’effet de la lumière sur l’horloge circadienne dépend de multiples facteurs, l’intensité de celle-ci et la durée d’exposition tout d’abord. Plus l’intensité de la source lumineuse et plus la durée d’exposition à celle-ci seront importantes, plus grand sera l’impact.
Un autre facteur qui influe la réponse circadienne est le spectre de la lumière. La sensibilité maximale des cellules ganglionnaires à mélanopsine se situe en effet pour des longueurs d’onde de 480 nm, correspondant à une lumière monochromatique bleue. Ainsi, à durée d’exposition égale, une lumière bleue serait aussi efficace qu’une lumière blanche 100 fois plus intense.
Le dernier facteur, qui va déterminer le sens de la synchronisation, est l’heure à laquelle la lumière est perçue.
La réponse à celle-ci est en effet déterminée par une courbe de réponse de phase. Une exposition à la lumière entre 17h et 5h du matin (soit le minimum thermique) va retarder l’horloge, tandis qu’une exposition entre 5h et 17h va avancer l’horloge. Les réponses maximales sont obtenues juste avant le coucher et juste après le lever, le minimum de réactivité de l’horloge se situant vers 17h. Par ce biais, la lumière perçue tout au long de la journée va permettre une synchronisation de l’horloge circadienne, dont la période endogène diffère légèrement de 24h, en l’avançant ou la retardant afin de l’aligner sur un rythme de 24h.
Une altération de ces mécanismes de synchronisation peut se produire en cas d’atteinte des voies visuelles, chez des sujets aveugles par exemple. Ces derniers sont alors en « libre cours », c’est à dire qu’en l’absence d’une synchronisation de leur horloge sur une période de 24h, ils évoluent en fonction de leur rythmicité endogène, se décalant progressivement chaque jour.
Il est intéressant de noter qu’il existe d’autres synchroniseurs externes, dit « non photiques » indépendants de la lumière.
En effet, les contacts sociaux, l’exercice physique ou encore l’horaire des prises alimentaires auraient un effet synchroniseur sur l’horloge circadienne.







Madame de guerre au physique lambda de cisgenre hétéro, Alina porte un masque mélancolique et une belle robe brodée, sous les confettis.
Quel beau métier.
Ses pieds sont mouillés et son cœur corsé, elle a juste l’impression de tomber d’un échafaudage.
C’est marrant comme c’est curieux comme sentiment.
À fond dans l’erreur
Sans hésitation dans l’à-peu-près
Alina alegria macarena danse le menuet comme une pro, mais la hauteur du dévoilement de ses chevilles n’outrepasse pas les limites de la bienséance.
Car ce drôle de monde de rayons et de néons la rend timide,
Elle qui a été élevée par les loups de l'autre côté de l'univers connu
Elle qui est égarée dans la microarchitecture labyrinthique de son rythme circadien
Elle qui raconte des choses modernes, des choses obscènes
Elle qui a une fâcheuse tendance à voir au plus profond du code génétique des spectres
Elle qui est la créativité sans finalité précise
Elle qui éclate en une infinité de formes et plaisirs
Elle qui colore de ses cris glissants et laiteux le silence vertueux du quartier
Elle qui n’existe qu’à peine et que n’importe quel idiot peut faire exploser comme une bulle de savon
Elle qui est tombée profondément amoureuse d’une des quatre colonnes en granite rose de l’abbaye d’Ainay
Elle qui l’autre jour vit se lever contre elle une troupe de grands pamphlétaires
Elle qui porte toujours dans ses poches plusieurs petites figurines en forme d’Alina, faites en terre cuite imbibée de son propre sang
Elle qui déteste faire la vaisselle
Elle qui s’endort souvent dans le temple de la nuit sans fin.







Avec sa légendaire exclusivité monogamo-dictatoriale, l’archange du désir aux yeux émeraude et au crâne rasé amuse Alina avec son instrument à cordes, assis sur le dos d’un cygne noir.
« J’adore fort ça » dit-elle sous le feu d’artifice des peptides sécrétés par les neurones de son noyau arqué, en synchronisant ses mouvements à ce saltarello rapide et sautillant.
Pendant ce temps-là, immobile sur le piédestal de marbre placé en plein milieu du salon, le cygne noir, jadis mâle alpha de son clan ailé, subit le poids de celui qui le chevauche et observe Alina à travers ses paupières mi-closes.







Dans la chambre de l’archange des parfums, il y a un aquarium avec peut être trente poissons dedans.
À l’intérieur, c’est une lutte brutale et ininterrompue pour la domination, l’eau est à moitié sang.
Tellement de folie dans un si petit espace.
C’est comme un de ces bâtiments bourgeois dans le centre de Lyon.
Dans son cortex cingulaire postérieur, dont la fonction est complexe, à mi-chemin entre abstraction et empathie, Alina, allongée sur le lit, devient un des poissons, elle attaque, puis est attaquée.
« Ils sont mignons n’est-ce pas ? » dit l’archange des parfums, « les regarder me calme, c’est comme une forme de méditation ».
Alina pense que parfois il est bête, malgré sa beauté immaculée et obscène de jeune missionnaire mormon américain en pleine mission divine à travers le quartier.
Franchement, elle ferait mieux d’aller ailleurs, sans préjugés et sans morale, pour approfondir les plaisirs inépuisables de la chair.







Le sommeil s’organise en cycles, une nuit comprenant 4 à 6 cycles d’une durée de 90 à 110 minutes chacun. Il est possible de définir plusieurs stades de sommeil, correspondant à des profils spécifiques en électroencéphalogramme.
La dernière révision des critères de codage par l’American Association of Sleep Medecine définit ainsi, en plus d’un stade de veille, trois stades de sommeil dit « lents » d’intensité́ croissante, nommés N1, N2 et N3, ainsi qu’un stade de sommeil à mouvement oculaire rapide ou sommeil paradoxal.
Ces enregistrements, réalisés en pratique dans le cadre d’une polysomnographie, permettent de mettre en évidence une alternance des stades de sommeil au sein d’un cycle, qui vont se succéder selon un pattern relativement similaire d’un individu à un autre.
Le stade N3, ou sommeil lent profond, intervient principalement dans la première partie de nuit, tandis que le sommeil paradoxal se concentre majoritairement en seconde partie de nuit.
Le stade N1 représente de 2 à 5 % de la durée totale de sommeil, le stade N2 en occupe lui 45 à 50% tandis que le stade N3 ou sommeil lent profond dure en moyenne 100 minutes par nuit soit près de 20% du temps de sommeil total. Le sommeil paradoxal quant à lui en occupe 20 à 25%.







Une fois par semaine, Alina, à l’aide de l’archange de la mort, organise dans son salon ses soirées cocktails désormais célèbres, elle y invite universitaires érudits, scientifiques, couturiers, artistes, explorateurs.
Elle écrit les invitations sur du joli papier, avec de l’encre qu’elle fait elle-même à partir de cendres de riz qu’elle fait brûler sur la terrasse.
Ses invités arrivent un à un, grimpent l’escalier en colimaçon, frappent à sa porte et entrent, timorés, dans son salon.
Chacun lui apporte un cadeau timide et respectueux : fleurs fraîchement coupées, chocolat noir et crème de lavande, bouteilles de vin rouge, peintures abstraites (qu’elle enlève de leurs cadres pour les mettre sur les autres dans le tiroir du haut de sa commode, pour qu’elles n’occupent pas son espace), châles brodés et jouets de métal précieux.
Les invités s’assoient sur des fauteuils autour d’elle, en essayant d’être le plus près possible.
Alina a imposé la règle suivante : chacun peut parler sans que les autres n’aient le droit de l’interrompre, mais si un seul essaye de la toucher, l’archange de la mort pique alors la main de celui-ci d’une longue aiguille pointue, bien qu’il soit toujours terrifié par leurs réactions imprévisibles.
Alina tient dans ses paumes un sablier qui mesure le temps de parole des invités.
Une fois, un universitaire érudit, interrompu en plein milieu de sa diatribe par la chute du dernier grain de sable, s’est emporté violemment et a essayé de briser le sablier. L’archange de la mort a dû lui piquer la paume des mains plusieurs fois, jusqu'à ce qu’il se calme, et il n’a plus jamais été reçu aux soirées cocktails, bien que, pour un certain temps, il ait continué à leur envoyer, par la poste, les photocopies de ses articles dans de prestigieuses publications universitaires, dans lesquels il avançait d’audacieuses théories, ou de simples lettres de menace à l’égard de son agresseur.
Plus personne ne prononçait son nom, mais son exemple est resté profondément ancré dans la mémoire des convives. Son image, écrasé sur le sol taché du sang coulé de ses paumes, avait horrifié tout le monde, calmant certains de leurs pulsions sensuelles, pour d’autres, au contraire, les intériorisant en une obsession maladive.
Parfois, les cils d’Alina éclipsent ses paupières comme du lierre, les recouvrant de flocons végétaux, ils deviennent tels des serpents, d’une élasticité boisée. Aveuglés par l’aura de scandale et d’abandon autour de sa tête, les invités, les yeux brûlés, s’agrippent aux branches de lierre et rampent sur le sol vers ses pupilles. Ils putréfient sa vision, perforent de leurs ongles les tissus mous, s’abritent dans la substance tiède sous son crâne de cristal, explosant en couinements frénétiques. Alors, de temps en temps, Alina soulève paisiblement sa jupe de velours, autorisant la trajectoire de leur regard à se poser sur ses hanches qui sentent bon les petits pains chauds. Tandis qu’ils graissent ses hanches de beurre salé et les mordent d’un appétit vorace, elle joue avec un long collier de perles tahitiennes, le regard perdu au loin.
Enfin, quand tout le monde s’en va, l’archange de la mort balaye les miettes de pain et les garde dans un vase de cuivre, puis il lave les verres à vin et les traces de salive, de sperme et de larmes sur le sol.
Il soulève Alina et la porte dans ses bras jusqu'à la chambre, où elle s’endort instantanément.
Dans son rêve, Alina foule des feuilles mortes pourrissant sous la pluie, à travers la chair palpable de l’automne, alors que l'archange de la mort veille sur elle.







Le besoin quotidien de sommeil est défini comme la quantité minimale de sommeil nécessaire pour se sentir en forme et efficace dans la journée. Celle-ci est en moyenne de 7h30 à 8h par 24h. Ces chiffres cachent une importante disparité. Il existe en effet plusieurs phénotypes en termes de durée de sommeil.
Si la majorité de la population a en effet besoin de 7 à 8 h de sommeil par 24h, on distingue néanmoins des profils de courts dormeurs, de longs dormeurs et de moyens dormeurs.
Les premiers ont besoin de moins de 6h à 6h30 de sommeil par 24h tandis que les seconds dorment plus de 9h30 par nuit.
En termes d’architecture de sommeil, les courts dormeurs diffèrent des longs dormeurs par la disparition des deux dernières heures de sommeil composées de sommeil paradoxal et de sommeil lent de stade N2.
Autrement dit, il n’y a pas de compression des cycles chez les courts dormeurs. Ces derniers présentent cependant une meilleure efficience du sommeil, avec moins de veille intra-sommeil et moins de sommeil lent stade 1.
Tout particulièrement, il est intéressant de remarquer que les deux groupes ont une durée égale de sommeil lent de stade N3 lorsque celle-ci est exprimée en minutes.
Alina, quant à elle, a besoin de 8h de sommeil par nuit, ce qui l’inclut dans la catégorie des moyens dormeurs.







Alina préserve son cerveau au formol dans un ancien bocal, ça fait une belle déco sur sa table de nuit
Elle se dit des mots gentils et encourageants, comme ça se fait de nos jours
« Allez ma grande, tu peux le faire ! » murmure-t-elle dans sa propre oreille, mais à vrai dire elle a nulle part où aller et rien à accomplir
Alors elle va chercher dans la forêt des racines que seule elle connaît, pour guérir sa tristesse
De retour à la maison, rajeunie et hydratée, elle est dans un état au-delà de la pensée
Et danse sur ses pattes de derrière comme un loup dressé.







L’archange de la nostalgie invite Alina à son propre enterrement.
« Allez madame molécule », se murmure-t-elle gentiment, « tu peux faire un deuil de plus ! »
En concordance avec l'importance de l’évènement, elle emploie une stratégie esthétique qui cherche à accentuer sa féminité par le contraste d’attributs virils et met une veste brodée de petites boutonnières d’or sur du velours noir à travers laquelle on aperçoit une seconde veste brodée d’or.
Elle n’aurait pas dû se donner autant de mal, la cérémonie est plutôt austère. D'ailleurs, tout le monde est transparent, sauf Alina, qui se place légèrement à l’écart des autres invités.
En plein milieu d’un éloge funèbre, et à son grand embarras, de petites flammes rouges surgissent de ses paumes ouvertes à la hauteur des côtes.
Alina est agacée. Elle sait que ce que son corps vit à l’instant même n’existe pas physiquement, sauf quelque part dans l’hémisphère droit de son cerveau. Elle sait aussi que ça ne se fait pas, devant toutes ces personnes qu’elle ne connaît pas, mais que son corps le fait quand même.
L’archange de la nostalgie s’approche d’elle et lui fait une petite blague obscène dans l’oreille, « Appelez vite une équipe de pompiers pour celle-ci, elle est en feu ! »
Toujours un peu à l’écart des autres, Alina est en feu comme la cathédrale Notre Dame le printemps dernier et se met à sourire. Avec ses paumes en feu ouvertes à la hauteur de ses côtes, elle ne peut pas s’abstenir de sourire avec tout son visage, bien que ça ne se fasse pas à un enterrement, franchement ça ne se fait pas.







L’hypothèse d’un lien entre sommeil à onde lente et plasticité synaptique a été renforcée par la modélisation informatique de l’impact de la force synaptique sur le sommeil lent profond.
Ce modèle propose que la diminution de la force synaptique pendant la nuit pourrait expliquer le déclin du sommeil à onde lente au cours de celle-ci.
Schématiquement, plus la force synaptique et donc plus les connexions corticales seraient puissantes, plus le réseau serait synchronisé et plus l’activité à onde lente retrouvée en électroencéphalogramme serait importante.
L’affaiblissement synaptique provoquerait inversement une diminution progressive de cette activité à onde lente au cours de la nuit, ce qui est précisément retrouvé in vivo.
Le sommeil à onde lente serait ainsi à la fois l’origine et le reflet des mécanismes de plasticité synaptique ayant lieu durant le sommeil.







La bouche pleine de sang et de muguet
Alina caresse la tête de l’archange du silence, qui se repose dans ses bras
« Dis-moi, lui demande-t-elle, est-ce que ça vaut la peine de perdre son œil droit pour moi ? »
Il pense à sa question pendant quelque temps.
Enfin il répond, pas vraiment sûr de lui :
« Non. »







Sauvage, les poils hérissés, Alina vadrouille, elle court dans les rues comme un démon.
Elle jette des yeux farouches, son désir est monstrueux.
En plein milieu de la rue de l’Annonciade, elle rencontre l’archange du désir.
Ils restent quelque temps face à face, sans dire un mot, Alina dessine seulement des signes sur sa tempe avec son index.
Une fois ce rituel fini, l’archange du désir demande à Alina ce qu’elle désire, et elle répond en toute honnêteté qu’elle désire comprendre pourquoi son sens esthétique est émerveillé de voir que le résultat de 60 divisé par 27 est 2,2222....
Il lui explique alors que ceci est le principe des décimales infinies périodiques, dans ce cas la période étant de 1 chiffre, le 2.
60/27=20/9=18/9+2/9=2 + 2/9
2/9=2*1/9
1/9=0,1 *10/9 = 0,1* (9/9+ 1/9)=0,1*(1+1/9)=0,1+0,1*1/9
soit x=1/9 on a x=0,1+0,1x=0,1+0,1*(0,1+0,1x)= 0,1+0,01+0,01x=0,1+0,01+0,001+0,0001... =0,1111...
« Et 2,2222.... c'est 2 + deux fois 0,1111... » ajoute-il la fin de sa démonstration.
« Fascinant » dit Alina, qui s’en va déjà courir les rues comme un démon. Son désir est monstrueux.







Alina souffre d’insomnie, qui est la pire forme de folie.
En plus elle déraille à répétition, olé olé.
« Tu n’as pas tiré le gros lot avec moi hein », dit-elle à l’archange de la danse, pendant qu’elle traverse la ville en pas de danse, de son pied elle danse, de son corps elle danse, de son cortex moteur elle danse.
Ainsi danse Alina.







Alina plane dans un ciel nocturne tourmenté, au-dessus de la ville aux contours fantomatiques. À l'aide de son hypothalamus ailé qui facilite cet envol en inhibant le faisceau réticulé activateur ascendant via des projections gabaergiques, elle vit une forme de délire géométrique.
Peut-être qu'elle est déjà passée de l'autre côté.
Dans un geste d’abandon, Alina atterrit dans un grand appartement bourgeois, froid et entièrement vide, quelque part à Croix-Paquet, pas loin de l’épicerie portugaise.
Il faut par ailleurs préciser qu’elle réussit à accomplir toutes ces prouesses en ne sachant même pas ce qu’est une molécule, elle sait juste que c’est minuscule et que ça a un million de petites ailes translucides, quelque chose du genre.







(…) Alina décrit de plus une tachypsychie avec des pensées insensées, questionnant aussi la possible présence d’un trouble sous-jacent.
Rapidement au cours des consultations, elle fait part de plaintes subjectives du sommeil à type d’insomnies de maintien du sommeil et de réveils matinaux précoces, elle s’éveille tous les jours spontanément à 5 heures du matin sans pouvoir se rendormir par la suite.
Sur le plan fonctionnel, elle rapporte d’importantes difficultés à se concentrer et des troubles mnésiques entrainant un franc handicap sur le plan intellectuel (…).







L’archange des prophéties est allongé sur le canapé. À ses pieds, Alina le regarde les paupières mi-closes et lui dit que ses seins lui font mal quand elle pense à lui, et que ce phénomène lui a fait comprendre que son cerveau n’est pas le seul support matériel de son intelligence.
Il se met à rire et met un vieux disque de jazz sur la platine. Le saphir touche le vinyle après quoi la chanson emplit le salon de filigrane d’une musique délirante de ficelle emmêlée. Alina se met à se déhancher au son de ces rythmes mystérieux, alors que, dans un miroir au mur encadré d’une guirlande soyeuse de roses jaunes, son ombre dansante embue la surface brillante de sa sueur.
Une demie heure plus tard, de peur d’être aperçue nue par les voisins de l’immeuble d’en face, Alina tremble dans la lumière de la bougie, intimidée. L’archange des prophéties est envahi par un courage incroyable. Il trempe ses doigts dans du désinfectant et enlève de l’orbite son œil droit palpitant, qu’il réchauffe dans ses paumes comme une grosses perle. Il pousse cet instrument de connaissance à l'intérieur d'Alina, un peu comme les anciens navigateurs sur les océans noirs. Pendant qu'il accomplit son exploit, dix-sept millions de pétales carmin de chair narcotique et empoisonnée se ferment autour de son doigt.







L’archange de la tristesse dit à Alina :
« Tu te rappelles de cette fois-là quand je t’ai ramenée avec moi en enfer
Tu n’as pas aimé mais le lendemain tu voulais descendre à nouveau
Viens prendre avec moi un verre de vin rouge et un carré de chocolat
Ce soir je suis dénué de tout récit
Tu sais, je viens de traverser le fleuve à vélo, avec un chat noir sur le dos
Alors laisse-moi deux trois secondes pas plus
Pour me concentrer un peu sur mes sens
Sur ma vue mon ouïe mes ressentis
C’est le cauchemar mais ce n’est pas grave
Putain tu ne m’écoutes plus
Tu es à la fenêtre et tu fumes ton joint à la con
Tu parles au peuple des nouvelles valeurs que des moines venus d’ailleurs ont ramené ici
Depuis quand t’es devenue une bourgeoise écoresponsable
Mord moi la cheville et ne me laisse pas partir, j’adore ça. »







Alina était connue dans tout le quartier pour ne pas baiser avant de mourir d’amour, pour ne pas dormir avant d’être appesantie par le sommeil, pour ne pas parler avant qu’on l’interroge sur les raisons de ses choix.
Enfin, elle surveillait sa pensée pour ne pas consentir au désir qui l’accablait.
Le combat était dans son cœur comme un feu brulant. De nuit et jour, une fumée bleuâtre sentant la myrrhe et l’encens sortait d’entre ses jambes et embaumait la ville.
« De même que la garde du corps du roi Auguste se tient toujours prête à ses côtés, de même mon âme doit être sur ses gardes contre le démon du désir » se répétait-elle.
Après un long moment, le combat prit fin, ne pouvant rien à cause de l’endurance d’Alina.
Et aussitôt le repos vint dans son cœur, mais pas dans celui de l’archange de la tristesse.
« Malheur à moi, malheur à moi, j’aurais mieux fait d’utiliser une hache quand je l’ai rencontrée », se disait-il.
Car il impossible que le nom d’Alina soit sanctifié en lui alors qu’il est dominé par une passion stupide pour le corps de cette folle venue d’ailleurs,
de cette étrangère qui est la flaque d’eau sous sa chaussette,
de cette nonne habillée en dentelle,
de cette idiote qui connait le nombre exact d’étoiles dans le ciel mais pas le nom de sa propre rue.







Plusieurs chercheurs se sont intéressés à étudier le sommeil succédant à un apprentissage, et à évaluer la qualité de l’apprentissage en fonction de celui-ci.
L’archange de la nuit a récemment confirmé le rôle essentiel du sommeil à onde lente dans les processus de consolidation en réexposant des sujets endormis au parfum d'Alina qu'il leur a présenté durant des taches de mémorisation.
La réexposition de cet effluve de cardamone, d'huîtres, de poivre et d’algues en sommeil lent profond au cours de la nuit suivante entraina une amélioration significative des capacités de mémorisation, avec une activation majorée de l’hippocampe en IRM.
Cette amélioration ne fut pas retrouvée si la réexposition à ce parfum avait lieu durant les phases de sommeil paradoxal, ou si le sujet était pour la première fois exposé à l'odeur d'Alina durant le sommeil.







Chose étrange sortie des territoires détrempés, avec sa sauvagerie pour unique compagnie, Alina soulève sa tête dédaigneuse et ramène ses omoplates affamées à la fenêtre pour guetter l’archange de la danse qui passe incognito dans la rue, caché sous son chapeau parsemé de perles, surmonté de cornes d’antilope.
Dehors, le vent noircit les murs du quartier.
L’indolence de ses tendons endoloris désespère Alina.
Le matelas se creuse sous le poids de son système thalamo-cortical qui, libéré des afférences excitatrices, oscille à sa fréquence propre.
Pendant qu’elle est éveillée sur une autre planète, elle crie à l’archange de la danse :
« Viens, viens orner mes pupilles, viens, je vais t’offrir des écorces d’eucalyptus en offrande, et mon sang de rubis, et ma douceur légendaire, viens suivre ma trace dans les airs. »







La privation chronique de sommeil entraine une majoration des dépenses énergétiques et une perte de poids, témoignant du rôle probable du sommeil en termes de conservation énergétique.
Au niveau cérébral, une structure en particulier semble impliquée tant dans la régulation du sommeil que dans la régulation métabolique : l’hypothalamus.
Celui-ci joue de plus un rôle central dans la régulation métabolique en intégrant différents signaux, notamment hormonaux (i.e la leptine et la ghreline), autonomiques et environnementaux via l’éminence médiane et les neurones arqués.
Plus précisément, la leptine et la ghreline vont agir via différents peptides secrétés par les neurones du noyau arqué.
La leptine va ainsi venir inhiber les neurones arqués qui coexpriment le peptide Y et le peptide lié à l’agouti, et au contraire activer les neurones à proopiomélanocortine qui coexpriment les transcripts relatifs à l’amphétamine et la cocaïne, entrainant aussi une réponse orexigène. La ghréline aura quant à elle l’action opposée, entrainant une réponse orexigène.
Les neurones arqués se projettent ensuite vers l’hypothalamus latéral, ou le signal est intégré afin de produire une réponse comportementale adaptée.
La leptine et la ghreline vont agir sur un autre peptide hypothalamique, l’orexine. Les neurones à orexine/hypocrétine ont un rôle primordial dans le réseau de l’éveil, en allant se projeter sur l’ensemble des structures responsables de l’éveil pour les stimuler.
Cependant, en plus de son implication dans la promotion de l’éveil, l’orexine aurait aussi un rôle primordial dans la régulation énergétique. C’est d’ailleurs historiquement la première fonction qui lui fut découverte, le terme orexine venant du grec « orexis » et signifiant appétit.







L’unique chose que l’archange des parfums aime chez Alina, c’est son odeur.
Une nuit, lorsqu’elle dort profondément, il s’approche de son lit pour lui couper le petit doigt de la main gauche. Alina soupire dans son sommeil, dans son rêve l’archange des parfums lui coupe le petit doigt de la main gauche.
Il se précipite vers son petit laboratoire clandestin situé pas loin d’où elle habite et place le précieux auriculaire sous la cloche en verre de l’appareil photographique à senteurs qu’il a inventé pour accomplir cette tâche.
Sa machine capture la senteur de peau, de chair et d’os du doigt d’Alina et restitue ces molécules sous forme liquide.
Le lendemain, l’archange des parfums donne rendez-vous à Alina sur la passerelle Saint-Vincent, pour lui offrir un flacon contenant sa propre odeur.
Elle attrape ce cadeau inaccoutumé avec les 7 doigts de sa main droite et les 6 doigts de sa main gauche.
« Franchement t’es trop louche d’avoir fait ça », lui reproche-t-elle et pulvérise le contenu du flacon vers les quatre points cardinaux.
Porté par les courants du fleuve, le parfum d’Alina se repend, de manière insidieuse, dans tous les recoins de la ville, pendant qu’un faisceau de lumière blanche tombe sur elle du ciel nuageux, à travers la brume humide.
Loin derrière ces phénomènes météorologiques, la constellation du Cygne traverse le ciel dans une chorégraphie à un seul mouvement composée de milliards de milliards de mouvements célestes.
Quelque part indifférent à son savoir social incorporé, le corps d’Alina à lui seul est une chorégraphie à un seul mouvement exécutée par ses milliards de milliards de cellules.







Les ondes delta sont le reflet de la sommation des activités synchronisées des cellules pyramidales de la Vème couche corticale.
L’éveil étant caractérisé par des fréquences beaucoup plus rapides en électroencéphalogramme, un mécanisme permettant une activation corticale semble nécessaire.
Dès le lendemain après leur rencontre, l’archange de la nuit fit l’hypothèse d’un tel mécanisme chez Alina. Il rapporta en effet qu’un type d’affection virale connue sous le nom d’encéphalite léthargique était liée à une atteinte de l’hypothalamus postérieur et du mésencéphale.
Il en déduit que l’éveil était secondaire à un faisceau activateur ascendant débutant au niveau du tronc cérébral.
Quelques semaines plus tard, quand ils se connaissaient déjà mieux, beaucoup trop bien même, au point où sa vie intérieure et son individualité étaient en danger d'anéantissement à cause d’elle, l’archange de la nuit confirma chez Alina l’existence d’un système réticulé activateur ascendant, débutant dans la partie supérieure du tronc cérébral et se poursuivant dans le diencéphale, où il se divise en deux voies distinctes.
Il est actuellement reconnu que ses intuitions étaient justes et que le système activateur ascendant se compose de deux voies principales, chacune comprenant des afférences excitatrices reposant sur des neurotransmetteurs différents.
La première voie se composerait de neurones cholinergiques issus de l’aire tegmentale latéro-dorsale et des noyaux pédiculo-pontique.
Ces derniers se projetteraient principalement sur le thalamus, activant des relais thalamiques essentiels à la transmission thalamo-corticale.
La seconde voie se projette au niveau hypothalamique, au télencéphale basal et à l’ensemble du cortex cérébral.
Elle se compose de différentes populations de neurones monoaminergiques : des neurones noradrénergiques issus du locus coeruleus, des neurones histaminergiques issus du noyau tuberomamillaire, des neurones sérotoninergiques issus du noyau du raphé dorsal et des neurones dopaminergiques issus de la substance grise periaqueducale.
Tous ces neurotransmetteurs vont activer le système thalamo-cortical durant l’éveil, en se projetant à l’ensemble du névraxe, permettant le passage d’un mode synchronisé (avec genèse d’onde delta) à un mode désynchronisé.
De plus, ces différentes populations de neurones seraient sous le contrôle de neurones à hypocrétine/orexine.
Ces derniers vont eux-mêmes venir se projeter sur les autres structures de l’éveil, venant renforcer et diriger leur activation.
Sur le plan physiopathologique, l’archange de la nuit a démontré chez Alina l’existence d’une atteinte des neurones à hypocrétine/orexine, avec des taux effondrés d’orexine dans le liquide céphalorachidien. Il semble donc que ses neurones à hypocrétine/orexine jouent un rôle primordial en assurant une activation de ses circuits de l’éveil.
Voilà voilà, se dit l’archange de la nuit à la fin de sa démonstration, c’est à peu près comme ça que fonctionne la tête d’Alina, lorsqu’elle court toute nue dans un champ de blé immense, pendant des siècles.







Sur un coup de tête, Alina est montée dans le vieux manège. L’archange de la fureur est resté planté devant pendant des heures, en attendant qu’il arrête de tourner et qu’elle descende. Il voulait avoir le dernier mot dans leur dispute. La musique stridente de ce cirque infernal rendait sa colère insupportable. Les chevaux en bois galopaient, idiots. Affolé par les lumières stridentes et le mouvement incessant, il hurlait des insultes, puis des explications, puis de pitoyables excuses.
Quand le manège s’est arrêté, Alina et l’archange de l’éthique se sont regardés longtemps, noyés dans le silence parfumé de la soirée.







De nombreuses études ont recherché la présence de possibles corrélats neuro-anatomiques en imagerie cérébrale dans la pathologie d’Alina [qu’elle subissait à cause du passage de la comète d'Ensisheim].
Plus précisément, plusieurs études ont rapporté une diminution de son volume cérébral global, réversible après le passage de la comète. Une diminution de la matière grise et de la matière blanche, avec un élargissement des espaces cérébro-spinaux ont aussi été retrouvés chez elle.
Une méta-analyse récente concluait, en plus des anomalies citées plus haut, à une perte de matière grise plus marquée au niveau des lobes temporaux et occipitaux. De manière intéressante, Alina présentait une diminution de volume au niveau du noyau caudé droit, du noyau lenticulaire droit et de l’hypothalamus, une région qui joue un rôle central dans la régulation du sommeil.
Une autre étude, elle aussi récemment publiée, retrouvait en IRM une diminution de l’épaisseur de près de 85% de la surface corticale, avec normalisation après le passage de la comète. Des résultats similaires étaient retrouvés au niveau sous cortical.
Les mécanismes astronomiques et anatomiques sous-jacents à cette atrophie sont encore non élucidés.
Cependant, la nature non spécifique de l’atteinte corticale et sa résolution rapide après le passage de la comète plaiderait pour une pseudo-atrophie, c’est à dire l’absence de mécanisme apoptotique. Cette hypothèse serait renforcée par l’absence d’augmentation des marqueurs de souffrance neuronale et gliale chez Alina.
A l’inverse, il a pu être proposé que cette atrophie corticale soit le reflet de changement de la structure lipidique des membranes cellulaires au niveau neuronale et glial. Une réduction de la taille de ces derniers a également été proposée, tandis que sur le plan neuro-histologique, une atteinte de la morphologie et de la densité dendritique a été rapportée chez elle.
La littérature portant sur la morphologie cérébrale d’Alina reste néanmoins relativement réduite, peu ou pas de différences semblent exister chez elle comparativement aux sujets non-sensibles au passage de la comète.







La seule chose qu’Alina aime chez l’archange de l’amour c’est qu’il lui enlève soigneusement les chaussettes avant de lui faire l’amour.
Être sans chaussette pendant qu’elle fait l’amour, c’est l’unique chose qu’Alina aime quand elle est avec l’archange de l’amour.







Alina invite l’archange de la nuit à manger, elle fait une omelette à la lavande dans laquelle elle laisse couler une goutte de sang de son doigt, pour y ajouter un imperceptible goût de rouille.
Il arrive avec deux minutes de retard, vêtu d’une chemise en toile d’argent, accompagné de son fidèle loup ailé à collier en rubis.
Pendant le repas, il est un excellent invité et entretient Alina avec sa conversation perspicace
Il théorise allègrement l’hypothèse d’un lien entre sommeil à onde lente et plasticité synaptique
Il propose que le sommeil à onde lente puisse permettre un rééquilibrage au niveau de la synapse, assurant ainsi une homéostasie synaptique
Schématiquement, la veille serait le siège de mécanismes de potentialisation synaptique secondaires aux phénomènes d’apprentissage qui y ont eu lieu
Cette potentialisation entrainerait le renforcement voire la création de nouvelles synapses au niveau neuronal
L’archange de la nuit se sent particulièrement inspiré, alors il propose que, durant les phases de sommeil à ondes lentes, un mécanisme d’affaiblissement synaptique ait lieu
En permettant d’éliminer les connexions synaptiques non efficaces et à l’inverse de renforcer celles qui le sont
Ce mécanisme permettrait un retour progressif du poids synaptique à un niveau de base durant le sommeil
Il en résulterait une meilleure efficience du réseau neuronal
Par la fenêtre on voit la cathédrale phosphorescente, la pluie approche
Pour une fois qu’elle n'est pas un trou noir d’énergie
Alina est contente de ce monologue animé
Et parle à l’archange de la nuit, en pensée.







Voilà, c’est officiel, Alina a un jour de retard sur sa vie
Car elle passe tout son temps à s’ennuyer
Et qu’est-ce qu’elle adore ça, s’ennuyer
Elle est souriante et relaxée, elle s’est embourgeoisée
Plus personne n’est l’aiguille dans sa veine
Ni la blague qui la fait rire
Ni la langue inconnue qu’elle apprend pour s'éloigner de sa condition de départ
Il n’y a plus rien dans sa tête sauf cette fierté
Il n’y a plus rien sous ses habits sauf mille petits gestes anonymes et oubliés, emplis de nostalgie.







(…) Néanmoins, la nature non spécifique de l’atteinte corticale et sa résolution rapide après le passage de la comète d’Ensisheim plaideraient pour une pseudo-atrophie, c’est à dire l’absence de mécanisme apoptotique.
Cette hypothèse serait renforcée par l’absence d’augmentation des marqueurs de souffrance neuronale et gliale chez Alina, qui porte sur son corps calamiteux les attributs du sortilège.
A l’inverse, il a pu être proposé que cette atrophie corticale soit le reflet de changement de la structure lipidique des membranes cellulaires au niveau neuronal et glial.
Une réduction de la taille de ces derniers a également été proposée, tandis que sur le plan neuro-histologique, une atteinte de la morphologie et de la densité dendritique a été rapportée chez les patientes souffrant des mêmes troubles qu’Alina.







Alina dit à l’archange des prophéties :
« Je suis une femme à deux têtes,
J’ai fait un pacte avec le monde animal
Je chasse, je chasse
À nous deux, je me dis, on sera invincibles.
Dans les moments de faiblesse je sors de moi-même comme un petit singe difforme et je m’agrippe à mon cou. Je passe alors toute la soirée à bercer et à dire des mots encourageants à cette monstruosité, ça nous fait du bien.
Depuis quelques jours, une fatigue immense s’est arrêtée, comme un grand oiseau noir, sur mon épaule gauche.
Sur mon épaule droite, un oiseau encore plus terrifiant : cet étrange amour, dont je t’ai déjà parlé. »







Au final, il apparaît que les mécanismes régissant le sommeil et l’éveil d’Alina sont intrinsèquement liés, l’un ne pouvant se concevoir sans l’autre.
Ces mécanismes révèlent de plus une grande adaptabilité de son sommeil à l’environnement, via des systèmes de régulation très fins.
Un des facteurs environnementaux qui va fortement moduler la régulation du sommeil est le statut métabolique de son organisme.
Cependant, par quels circuits se fait cette interaction ?
Alina, elle-même, n’en sait rien.
Elle sait juste qu’elle a un bug dans le système et une valise pleine de cash.
« Mon petit chouchou, je t’aime tellement qu’en cas de famine je te mangerais vivante en commençant par les yeux » se dit-elle à elle-même
Elle-même elle personnellement problème
Problème technique
Problème socio-économique
Problème exotique
Et même comme ça, même dans ces conditions
Elle s’est toujours dit qu’elle n’avait pas à mendier
À demander plus que ce qu’on voulait lui donner
« Car il n’y a rien de honteux dans mon désir », se répète-elle à elle-même
Elle-même elle personnellement problème
Problème de fabrication
Problème de concentration
Problème de vocation.







L’archange de la mort a poussé Alina dans le précipice, du haut de la montagne.
Pendant sa descente dans les airs, Alina se demandait comment elle allait pouvoir lui pardonner son acte.
« Qu’est-ce qu’il est égoïste ce fou » se disait-elle,
« Mais qui sait, peut-être que ça lui vient de ses ancêtres ou de son sang malade, peut-être aussi etcétéra etcétéra le pauvre, et dieu sait qu’il faut tout pardonner à ceux qui souffrent dans leur cœur. »
Elle ruminait ainsi lorsqu’elle s’écrasa sur la roche couverte de lichen.
Elle resta quelques minutes allongée sur le dos en regardant le ciel bleu au-dessus et se releva aussitôt.
L’archange de la mort descendit peu de temps après, pour chercher son corps, pleurer des larmes sincères et prouver son remords profond.
À vrai dire il sanglotait sur lui-même en descendant la cime de la montagne.
Il se disait que son regret était une preuve suffisante de son innocence dans le déroulement de ce non-évènement, et que ça serait dommage qu’on s’attarde plus que ça sur ce sujet.
Il chercha longtemps le corps d’Alina, en se demandant « Putain elle est passée où cette idiote ? »
Pendant ce temps-là, elle sirotait un verre de vin rouge sur la terrasse de leur hôtel, en regardant la montagne sans ciller.
Elle se sentait enfin légère, car une goutte de son sang gisait encore au fond du précipice, dans toute sa beauté, et l’univers entier se reflétait dedans.







Lors de ses recherches sur le sommeil d’Alina, l’archange de la nuit arriva à certains résultats qui corroborèrent l’hypothèse selon laquelle la mémoire déclarative, qui repose sur les structures hippocampiques, pourrait être dépendante du sommeil à onde lente, tandis que la mémoire procédurale bénéficierait plus du sommeil paradoxal.
Cette théorie, bien que séduisante, a toutefois été discutée par certains auteurs.
Si la participation exacte des différents stades reste encore à définir, une littérature de plus en plus conséquente semble indiquer le rôle prépondérant du sommeil dans les mécanismes de plasticité synaptique et de consolidation mnésique.
Ces théories vont-elles à l’encontre des modèles de conservation de l’énergie et de restauration avancées précédemment ?
Peut-être.
Ou peut-être pas.







« La vie a la couleur de ta peau ma chérie » dit l’archange du sommeil à Alina, pendant qu’ils somnolent dans le même bateau rongé par les rats appelé amour.







L’archange du désir invite Alina à le rejoindre dans son road trip et bien sûr qu’elle y va.
Ils voient passer des autoroutes, des villages, des gens, ils sont complètement dans l’excès voilà voilà ils kiffent ça.
Au bout d'un moment ils s’arrêtent à une retraite silencieuse de yoga où tout le monde semble autant stylé que désespéré.
Après deux semaines de detox (pendant lesquelles Alina couche allégrement avec n’importe qui) ils repartent sur la route.
Leur vieux van traverse des champs infinis de maïs et de blé et quelques forêts, ils laisseront la prochaine génération s’occuper de la fonte des glaciers.
« Mon dieu comme j’aime cette liberté », dit l’archange du désir en caressant le genou d’Alina, pendant qu'elle pense à sa brosse à dents électrique, oubliée à la maison, qui lui manque terriblement.







En polysomnographie, la plupart des études mettaient en avant une altération de la continuité du sommeil chez Alinaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaa comparativement aux sujets contrôles.
L’efficacité de son sommeil était diminuée dans ces recherches, tandis que le nombre d’éveils nocturnes et le temps d’éveil après endormissement étaient augmentés, conduisant à une plus grande fragmentation de son sommeil.
La macroarchitecture était elle aussi altérée, et une diminution de son sommeil lent profond était retrouvée dans plusieurs études.
Deux études mineures retrouvaient même une corrélation positive entre le poids d’Alina (un poids idéal pour un corps idéal, d’après ces chercheurs) et le temps qu’elle passait en sommeil lent profond.
Réciproquement, une troisième étude rapportait une corrélation positive entre le degré de fascination qu’elle avait pour la comète d’Ensisheim, le nombre d’éveils nocturnes et le temps d’éveil après endormissement.
Cette altération du sommeil à onde lente en analyse visuelle (cotation des stades de sommeil par époques de 30 secondes) était confortée par les résultats en analyse spectrale de deux études. Ces dernières mettaient en évidence une importante diminution de l’activité delta chez elle, avec une concentration de celle-ci dans le premier cycle de sommeil.
A l’opposé de cette diminution du sommeil lent profond était retrouvée par deux études une augmentation du temps passé en stade 1, le stade de sommeil le plus léger. Une corrélation positive entre les nuits où le ciel était dégagé (et la comète d’Ensisheim bien visible) et durée de stade 1 était également retrouvée dans un article.
Parallèlement aux atteintes de la macrostructure du sommeil d’Alina, de rares études se sont intéressées à la microstructure de son sommeil.
L’archange de la nuit retrouvait en effet un taux de CAP (cyclic alternating patterns) plus important chez elle, attestant d’un sommeil plus instable. En accord avec d’autres chercheurs, il retrouvait de plus chez elle une augmentation des micro-éveils, allant dans le sens d’une plus grande fragmentation du sommeil.







Depuis le début du passage de la comète, Alina avait supprimé progressivement la fréquentation de la multitude et s’était mise à rêver d’une carrière internationale dans l’aéronautique, « car j’aime l’air, l’espace et la mobilité durable », expliquait-elle à l’archange de la musique.
« Et si tu vois que je ne reviens pas, souviens-toi toujours de moi ! »
« J’ai pleine confiance en toi, Alina mon enfant », lui répondit-il, « et si jamais je vois que tu ne reviens pas, je me souviendrais toujours de toi ! »







Quand l’archange de la tristesse a vu Alina pour la première fois, elle faisait du skateboard tout nue, elle faisait plein de trucs bizarres à cette période-là, elle ne pouvait pas s’abstenir.
Elle était juste comme ça et c’était beau à voir.
Maintenant elle passe tout son temps libre à faire des bougies artisanales et du pilates, c’est terriblement ennuyant.
Mais il la préfère comme ça.







Dans plusieurs études, l’archange de la nuit a mis en évidence le rôle essentiel du noyau préoptique ventrolatéral dans la compréhension du monde d’Alina.
Il a démontré que cette structure hypothalamique était spécifiquement active durant son sommeil lent des neurones gabaergiques inhibiteurs.
Ces neurones se projettent sur l’ensemble des structures activatrices du réseau de l’éveil.
Inversement, ces dernières enverraient des projections inhibitrices vers le noyau préoptique ventrolatéral, permettant un contrôle et un rétrocontrôle mutuel.
L’archange de la nuit a ainsi proposé que durant l’éveil, le noyau préoptique ventrolatéral soit inhibé par les structures excitatrices décrites plus haut via des projections inhibitrices tandis que, durant le sommeil, le noyau préoptique ventrolatéral s’activerait, inhibant les structures responsables de l’éveil via des projections gabaergiques.







L’archange de la mélancolie conduit sa voiture vers les collines rouges et arides.
Alina, assise à côté de lui et délivrée du lourd fardeau de ses pensées, regarde avec étonnement ce paysage nouveau.
Ils écoutent du Mozart et parlent à peine.
Après quelques heures, il demande à Alina de fermer les yeux et de descendre.
Ils marchent un peu en se tenant par la main, puis il s’arrête et lui demande de ne pas avoir peur.
Avec des gestes pleins de douceur, il la ligote sur une chaise de camping attachée à quelques centaines de ballons gonflés d’hélium, pour la libérer ensuite.
Alina monte dans l’atmosphère, attachée à cette sorte de montgolfière à mille ballons colorés, flottant au-dessus des collines rouges et arides.
Alors c’est à cela que cette espèce de lâche avait travaillé secrètement pendant ces derniers mois, pour se débarrasser d’elle.
Dire qu’elle aurait donné son œil droit pour lui.
Elle s’éloigne dans les cieux, en criant :
« Hé mec tu n’as aucune idée de qui tu as à faire, je suis super big in Japan, car plus grande que la majorité des japonais ! »
Ses mots sonnent de plus en plus faibles et lointains, même pour elle-même.







L’archange de la danse se demande si Alina se souvient encore de ce jour où elle est partie : c’était le jour où son sang s’est transformé en une rivière de désespoir.
Le ciel amer le pèse.
Il se dit qu’il ne sert à rien sans Alina, qui passait son temps à se ronger les ongles sur son lit, habillée en kimono en soie.
Alina, avec son éternel rouge à lèvres bon marché et son anneau de funérailles en or et rubis.
Alina, à la cruauté pénible et sans filtre.
Alina, qui triait ses déchets devant les invités.
L’archange de la danse va tout seul au cinéma, ces jours, il pleure jusqu’à la fin, car aucun atome d’Alina ne l’attend, nulle part.
Aucun signe ne le mène vers elle.







Afin de mieux caractériser les conséquences du passage de la comète d’Ensisheim sur le sommeil d’Alina, l’archange de la nuit s’est intéressé dans plusieurs études à l’évolution de celui avant et celui après cet évènement astronomique.
A l’exception d’une de ses études, toutes ont retrouvé une amélioration du sommeil d’Alina après la traversée de la comète de l’hémisphère nord vers l’hémisphère sud ; en particulier, le sommeil lent profond s’est allongé, rejoignant alors les valeurs des sujets sains.
En plus d’un enregistrement avant et après le passage, l’archange de la nuit effectua une acquisition intermédiaire lorsque Alina atteignait une capacité de raisonnement équivalente à 85 % de sa capacité cible.
L’archange de la nuit retrouva ainsi une cinétique d’accroissement de son sommeil lent profond en deux temps.
La première partie de ce qu’il appelait chez Alina « le lent et sinueux processus de retour à la raison » était marquée par une importante majoration du sommeil à onde lente.
Au cours de la seconde partie du processus de retour à la raison, une diminution du sommeil lent profond avait lieu.
Enfin, à défaut de retrouver un allongement du sommeil lent profond chez Alina, l’archange de la nuit retrouvait un approfondissement de celui-ci, avec une diminution du stade 3 au profit du stade 4 (ancienne classification) après le passage de la comète.
Concernant son sommeil paradoxal, la majorité de ses études retrouvait une augmentation de ce dernier après la traversée.







Alina marche le long de la rue Émile Zola et laisse une traînée de sang derrière elle, c’est Guernica en couleurs dans sa culotte.
Des grondements gutturaux marquent le début de ce nouvel acte, avec l'arrivée de l’archange de la solitude recouvert d’un manteau gris.
Il a tout de ce qu'on imagine être un étranger, y compris sa démarche : courbée, rapide, saccadée.
Alina et l’archange de la solitude enchaînent nerveusement les pas de deux, ils s’approchent, s’éloignent, se figent, l’un d'eux finit au sol.
Quelques secondes plus tard, sur un script identique mouvement pour mouvement, Alina, déchirée par la tristesse, dit cette fois adieu, puis sa voix s'efface peu à peu, pour n'être plus qu’une succession de syllabes et de souffles.
Partout sur les trottoirs étroits, d’autres créatures s’affrontent à coups de pinces acérées.
Avant de se fondre à ce groupe sur des bruitages semblables à ceux émis par des sous-marins, Alina regarde une dernière fois vers l’archange de la solitude, qui, lui, regarde en souriant la vitrine d’un joli magasin de jouets.







Alina se regarda dans le miroir et elle se vit nue mais couverte de bijoux en or, argent, cuivre, cristaux et pierres de toutes sortes.
Elle vit aussi que ses lèvres étaient rouges de sang.
Elle se demanda : « Qu’est-ce que cela, Alina ? »
Et elle se répondit à elle-même : « C’est la parole de l’archange des mystères qui m’avait peinée. J’ai lutté pour ne pas la faire connaître, et elle est devenue sang sur mes lèvres. Maintenant je peux être en paix. »







Alina fume du narghilé en écoutant deux musiciens exquis et délicats.
Ils ont de l’argent, ils sont jolis, elle culpabilise presque d’avoir envie de les baiser.
Des lucioles volent autour d’elle
comme dans les dessins animés à la con,
elle passe une excellente soirée
suivie d'une infernale nuit blanche.
Elle sait car elle l’a appris d’elle-même, empiriquement,
que la nuit faisant suite à cette privation de sommeil
sera marquée par une augmentation de sa durée
et par un rebond de l’activité delta,
c’est-à-dire une activité delta plus importante
qu’au cours d’une nuit normale.
Ce mécanisme est à l’origine d’une régulation homéostatique du sommeil,
ajustant celui-ci en fonction des besoins de son organisme.
Alina n’a jamais vraiment entièrement élucidé
les corrélats neurophysiologiques de cette régulation.
Elle a tout de même spéculé
dans l’intimité de ses conversations privées avec sa propre personne
que celle-ci puisse en partie reposer sur l’adénosine.
Cette dernière s’accumulerait au cours de l’éveil,
secondairement à la dégradation du glycogène par les neurones.
L’accumulation d’adénosine contribuerait en retour
à augmenter la propension au sommeil.
Morte de fatigue après ses curieuses aventures nocturnes
Alina, mal habillée et le visage décomposé par l’acné,
rentre chez elle à pied, en complète harmonie avec la foule.
Elle pense à toutes ces choses et à d’autres encore
pendant que son corps se déplace en pas de danse
de sa main elle danse
de ses yeux elle danse
de ses neurones miroirs elle danse
ainsi danse Alina
parmi les pétales de fleurs putrides et les mégots jetés par terre.







Alina demande à l’archange de la mort de lui ramener une part de cheesecake, une couette chaude et un gros joint
Car elle meurt d’amour et c’est grave dommage, elle a tellement de choses à faire
« Ça fait trois semaines que je n’ai pas fait le linge, qui va le faire à ma place » dit-elle, des larmes stupides aux yeux
L’archange de la mort regarde son regard trouble et ses mains tremblantes
A vrai dire il n’a jamais de sa vie vu quelqu’un de moins sexy, elle fait pitié comme la mendiante roumaine du coin
On a envie de la secouer fort fort fort
Alors il la ramène en voiture au service d'urgences cardiaques de l'hôpital Louis Pradel à Bron dans la banlieue de Lyon
Il la laisse à l’entrée de l’hôpital, il lui souhaite bon courage et lui glisse une petite monnaie pour qu’elle s’achète un café au distributeur automatique
Le médecin de garde la consulte et lui dit qu’elle souffre de cardiomyopathie, qui est une paralysie brutale d'une grande partie du cœur
Mais que ce n’est rien de grave
« Pourtant docteur j’ai l’impression qu’un couteau est planté dans mon cortex préfrontal dorsolatéral et dans ma substance grise périaqueducale »
Pendant qu’elle prononce ces mots, elle ressent aussi une petite forme de proto-remords,
« Wesh gros j’ai couté une fortune à la caisse d’assurance maladie à cause de l’amour » dit-elle à son interlocutoire exténué
Quand elle sort du bâtiment, elle est heureuse de retrouver l’archange de la mort qui l’attend patiemment dans sa voiture avec une part de cheesecake, une couette chaude et un gros joint
Pendant tout le trajet de retour ils sont habités par un silence théâtral, Alina quitte un instant le fardeau lourd de ses petits sentiments
Et lèche la crème du gâteau sur ses doigts.







Les draps sont moites d’amour.
Alina dort à côté de l’archange de la solitude, qui l’entend rêver de mille oiseaux en émeraude.
C’est leur chant qui l’a réveillé, il a ouvert les yeux dans une pièce couverte de plumes vertes.
« Je suis devenu dingue à coté de cette folle », se dit-il, à moitié endormi.
Ils sont tous les deux des immigrants.
Il y a à peu près une semaine il était allé au marché, il a acheté du pain, des mandarines, des noix, des tomates, il avait calculé qu’ils avaient assez pour survivre jusqu’à ce que la comète achève son passage malfaisant dans le ciel.
Ils n’ont pas quitté l’appartement depuis.







Alina desnuda n’a rien à voir avec Alina vestida
Mais elle a quand même réussi à perdre son biopouvoir et sa fameuse flamme olympique
Depuis tout ce temps, son corps a appris une seule astuce, tomber debout sur ses mille pattes en acier, quand le besoin se présente
La voilà maintenant d’un calme d’âme irréprochable, sa vie, un dimanche d’été permanent
D’ailleurs il est 3h de l’aprèm d’un dimanche gris quelconque
Alina traverse l’allée des dragonniers du jardin botanique en mangeant des cornichons au vinaigre directement du pot
Sur la mince membrane pluristratifiée de sa rétine, elle multiplie et superpose des éléments du quotidien, des pictogrammes pornographiques et d’autres symboles d’une valeur pour ainsi dire douteuse, qui semblent flotter dans un désordre apparent
Le téléphone sonne et l’archange de la danse, qui ne peut plus contenir sa curiosité, lui demande comment c’était
A quoi Alina répond « Franchement ces chevaliers des arts et des lettres sont nuls au lit, c’est pitoyable, faut tout leur expliquer ».







L’archange des prophéties a vu Alina qui se tenait debout sur un canoë, les bras croisés sur sa poitrine, comme une Vénus de Willendorf à un million de followers.
De loin, depuis un monticule de corail, il prit une pose impudique en hurlant
« Je t’aime plus que tes quarante mille frères, je t’aime plus que je n’aime regarder l’Orion s’éteindre à l’horizon à 5h du matin ! »
Entourée de l’austérité d’un monde marin réduit à des formes géométriques essentielles, Alina résistait à ses cris ensorceleurs.
Déçu par son échec, l’archange des prophéties s’est précipité dans la mer et il a péri.







Avec son amour-majuscule comme tout bagage et couverte d’un joli manteau noir à paillettes, Alina monte le Cours Tolstoï à 10h du matin, focus à fond sur ses pensées.
Elle essaye de ne pas regarder en arrière, vers l’ombre de l’archange du silence, qui la suit en silence.
Il compte sur elle, sur son désintérêt, sur son insolence, il compte sur elle, alors elle essaye de ne pas regarder en arrière.
C’est dur, c’est vraiment dur, ce que l’archange du silence lui demande, car le Cours Tolstoï est long et sinistre et elle souffre d’une déplaisante algoneurodystrophie de sa cheville droite.
Alina aimerait beaucoup faire demi-tour, rentrer chez elle, inviter une copine pour boire du chocolat chaud et raconter sa life.
Mais l’archange du silence, qui la suit en silence, compte sur elle, sur son désintérêt, sur son insolence, il compte sur elle, alors elle essaye de ne pas regarder derrière elle.







De nombreuses observations ont permis de proposer que le sommeil puisse jouer un rôle actif dans les mécanismes de consolidation mnésique et de plasticité cérébrale.
La durée totale de sommeil étant maximale à la naissance, et les premières années de vie jouant un rôle majeur dans le développement cérébral, un lien entre sommeil et maturation cérébrale a été proposé.
D’autres modèles expérimentaux ont par la suite été explorés afin d’étudier le lien entre plasticité cérébrale et sommeil, conduisant à de nombreuses recherches sur le phénomène d’hibernation. Celui-ci serait en effet caractérisé par des modifications majeures sur le plan neuronal en faisant intervenir des mécanismes de plasticité cérébrale ayant lieu au cours de phases de sommeil à ondes lentes.







L’archange de la pudeur interroge Alina en disant :
« Que doit-je observer pour te plaire ? »
Et cette folle répond :
« Ce que j’ordonne, observe-le : où que tu ailles, que je sois tout le temps devant tes yeux ; quoi que tu penses, ne mets pas ta confiance en ta propre justice ; et en quelque lieu que tu demeures, n’en bouge pas rapidement. »







Lettre d’excuses envoyée par l’archange de la tristesse à Alina, après une discussion qui a tourné à l’aigre :
« Ma chère Alina,
Après cette soirée où les mots ont volé plus loin qu’ils n’auraient dû, je ne veux pas laisser s’écouler un jour sans t’adresser mes regrets, voire mes excuses pour les propos un peu vifs que j’ai tenus.
Il est certain que, dans cette discussion qui nous a si violemment opposés, j’ai eu le tort de m’emporter en premier. Tu as répondu sur le même ton. Comment t’en blâmer ? J’avais donné le mauvais exemple.
Fais-moi l’amitié de ne pas me garder rancune de mes éclats et de croire que j’ai déjà oublié les tiens. J’ose espérer, chère Alina, que tu voudras bien etcétéra etcétéra. »







Les pointes des pieds tournées en dehors, coudes détachés de la taille, main droite plus haute que la gauche, Alina écoute dans ses écouteurs la Marche pour la cérémonie des Turcs de Lully.
Elle n’est que son corps son corps son corps son corps son corps son corps son corps
Et rien d’autre.
En plus, elle est née sous une bonne étoile empoisonnée
Car tout ce qu’elle a accompli et tout ce qu’elle a détruit c’est grâce à ses neurones échos
Qui se cachent dans le cortex prémoteur ventral et dans la partie rostrale du lobule pariétal inférieur.
À quelques dizaines de kilomètres de là où elle se trouve, dans une forêt gelée par l’arrivée trop soudaine de l’hiver,
L’archange de la mélancolie, figé dans la même posture qu’Alina, et respirant au même rythme qu’elle, attend patiemment qu’elle l’appelle.







Dans un article récent, l’archange de la nuit soumet un modèle visant à unifier toutes les théories qu’il a avancées publiquement depuis sa rencontre avec Alina.
Son article propose qu’au cours de l’évolution, les espèces auraient adopté différentes stratégies comportementales permettant d’optimiser l’utilisation temporelle de l’énergie afin de maximiser les chances de reproduction et de survie.
Selon ce modèle, certaines fonctions biologiques seraient inhibées la journée, permettant une utilisation de l’énergie pour l’exploitation de la niche écologique.
Cette distribution des tâches permettrait une meilleure répartition des ressources énergétiques sur 24h en évitant un pic des dépenses durant l’éveil.
Cette théorie serait étayée par le fait que de nombreux gènes s’exprimeraient de manière préférentielle en état de veille ou de sommeil.
Toujours selon ce modèle, l’origine et la fonction du sommeil paradoxal seraient liées à cette nécessité d’allocation des ressources énergétiques.
L’archange de la nuit postule en effet que chez les espèces endothermes, le besoin de maintenir une température corporelle constante est à l’origine d’une dépense énergétique considérable. Les mammifères auraient ainsi besoin de 5 à 10 fois plus d’énergie que les espèces ectothermes de taille comparable (c’est à dire ayant la même température corporelle que le milieu ambiant).
Le sommeil paradoxal se caractérise par une atonie musculaire mais aussi par une abolition des mécanismes de thermorégulation.
Les ressources énergétiques ainsi épargnées pourraient être alors orientées vers le système nerveux central. De même, la fragmentation du sommeil paradoxal au fil des cycles de sommeil successifs serait un mécanisme évolutif permettant le maintien d’une température corporelle stable à un moindre coût énergétique.
L’alternance entre sommeil lent (durant lequel une thermorégulation est assurée) et sommeil paradoxal permettrait ainsi d’éviter que la température corporelle ne chute trop bas.
Cette hypothèse permettrait ainsi d’unifier dans un même cadre théorique les différentes fonctions du sommeil, l’énergie épargnée durant celui-ci permettant la poursuite de mécanismes de réorganisation du réseau neuronal à un moindre coût.







Ses forbidden zones scrupuleusement cachés sous sa robe somptueuse aux manches bouffantes, qu’une chaîne dorée serre au niveau de sa taille, Alina traverse la place Bellecour comme une mini cathédrale ambulante, elle va au supermarché.
En marchant en plein milieu de la foule, elle demande à voix haute « Siri, est-ce qu’il y a du gluten dans le quinoa ? », car ce soir elle a invité à manger l’archange de de la nostalgie, et il la fait chier comme à chaque fois avec ses multiples allergies imaginaires de princesse anglaise.
Mais elle lui pardonne tout, car il est splendide et fougueux et elle est faible et sans principe.
Le jour même, une équipe d’astronomes du Centre de Recherche Astrophysique de Lyon a identifié deux trous noirs supermassifs sur le chemin d’une collision inévitable. Les deux objets, enfermés dans une danse funeste à environ neuf milliards d’années-lumière de la Terre, partagent désormais une orbite binaire.
Leur conjonction, qui devrait avoir lieu dans dix mille ans environ, secouera le tissu même de l’espace-temps et générera des ondes gravitationnelles, un peu comme la rencontre entre Alina et l’archange de la nostalgie, à vrai dire.







Alors qu'Alina demeurait sur rue Leynaud, à l'endroit où s'élevait jadis le temple d'Auguste, une vierge de famille sénatoriale fort riche et craignant l’influence de la comète sur les déséquilibres passionnels de certains membres de sa famille, vint de Constantinople pour la voir.
Elle fut accueillie par l'archange de la mélancolie qui siégeait devant la porte, et elle le supplia de persuader Alina de la recevoir.
Il alla demander à Alina si elle souhaitait la recevoir en disant :
« Une telle, de famille sénatoriale, est venue de Constantinople et désire te voir. »
Mais Alina ne consentit pas à la rencontrer.
Lorsqu'elle en fut informée la jeune fille fit cette réponse : « Ce n’est pas pour sa beauté ou sa sagesse que je suis venue, car, étant étrangère, je ne peux juger leur valeur, mais pour ses prophéties ! »
En entendant ceci, Alina ouvrit enfin la porte de son appartement et se montra dans une tunique en velours de ce joli ton doré des châtaignes mûres.
La voyant, la vierge de famille sénatoriale se jeta dans ses bras.
Mais Alina la repoussa avec colère et la fixa en disant : « Si tu veux voir mon cerveau de singe à prophéties, eh bien ! il se trouve juste derrière mes yeux, regarde ! »
Mais elle, toute honteuse, ne regarda pas dans la profondeur des yeux d’Alina, qui lui dit : « N’as-tu pas entendu parler de ce que je bâtis ici, derrière cette porte ? C’est cela qu’il faut voir ! Comment as-tu osé faire une telle navigation, seule à ton âge ? ou bien est-ce pour dire, de retour à Constantinople, aux autres femmes : j’ai vu Alina et j’ai entendu ses prophéties, et transformer ainsi la mer en une route de folles venant vers moi ? »
A quoi la jeune fille, profondément blessée dans son orgueil de personne née dans la richesse, répondit : « Je prie la comète qu’elle efface ton souvenir de mon cœur ! »
Entendant ces paroles, Alina ferma la porte bouleversée, et ce soir-là fût prise de fièvre par chagrin.
Dans un moment de lucidité, elle demanda à l’archange de la mélancolie, qui veillait sur elle, d’ordonner à tous ceux qui la connaissait : « Où que vous entendiez que se trouve Alina, n’approchez pas ! »







Alina souffre de quelques courbatures au cœur et de quelques douleurs musculaires par ci par là, dans des points essentiels.
Elle en veut affreusement à l’archange de la fureur car il lui a fait péter les plombs et ce n’est pas cool.
Ce matin même, il l’a battue au jeu d’échecs en 6 mouvements, et bien que sur le moment elle ait aimé la vitesse, le travail bien fait, assez vite, elle a commencé à se dire qu’il n’était franchement pas obligé d’ajouter de l’humiliation à la défaite.
Que seulement un conquérant lâche ferait un tel acte de cruauté pitoyable.
Pour changer de sujet, Alina est mille fois trop sex avec ses cheveux couverts de pétales de lys et son épée fluorescente dans la main gauche. Le tissu mou sous son crâne va à la vitesse da la comète d’Ensisheim, ou bien d'un escargot, ça dépend des jours.
Franchement ça dépend des jours.







Alina cherche à quitter l’archange de la mort
Mais il ne peut pas la laisser faire.
Non, il ne peut pas la laisser faire.
Une pluie de larmes inonde ses joues.
Ils sont en conversation téléphonique, et il chiale.
Il lui demande de le rejoindre pour un dernier adieu.
Ce soir-là, elle arrive plus tard.
Son corps est maintenant accessible à tous, mais plus à lui.
Elle lui parle gentiment, comme à un enfant malade ; elle lui promet de rester amis et qu’il rencontrera bientôt quelqu’un d’autre ; il lui sert un verre de vin rouge, puis un autre.
Enfin, elle s’allonge sur ses draps dorés en tenant sa tête lourde de vin sur sa main gauche - elle ne saura pas qu’il a mélangé ce vin avec du sang de ses veines.
Alina dit qu’elle a envie de pleurer sans qu’elle ne puisse en identifier la cause.
Elle boit.
Le verre devient lourd dans sa main.
« C’est quoi ce tumulte qui agite mon corps ? Qu’est-ce qui tremble en moi ? », demande-t-elle à l’archange de la mort.
« C’est l’amour », répond-il, et son sang dans les veines d’Alina sourit.







Pour étudier le sommeil d’Alina, l’archange de la nuit utilise un examen de référence, la polysomnographie.
Celle-ci comporte 3 types d’enregistrements : un électroencéphalogramme, un éléctrooculogramme et un électromyogramme.
Il enregistre de plus plusieurs paramètres respiratoires tels que ses débits respiratoires, l’oxymétrie et l’ampliance thoraco-abdominale.
Il acquiert aussi sa fréquence cardiaque et l’électromyogramme de ses muscles jambiers antérieurs. Les signaux sont amplifiés, enregistrés, numérisés et stockés.
Enfin, un enregistrement vidéo avec vision nocturne est également réalisé afin de pouvoir déceler, en lien avec l’électromyogramme, ses éventuels mouvements anormaux.
A partir de ces données, il réalise deux types d’analyses du sommeil d’Alina : une analyse visuelle et une analyse numérique.
L’analyse visuelle consiste en une interprétation du tracé électroencéphalogramme par période (ou époque) de 30 secondes, à chacune étant attribuée un stade de sommeil.
En plus des stades de sommeil, l’archange de la nuit quantifie plusieurs variables, permettant de mieux définir la macroarchitecture de son sommeil: le temps d’enregistrement total (temps total passé lumières éteintes), le temps de sommeil total (durée totale de sommeil, calculé à partir de la première époque de sommeil), l’efficience du sommeil (temps de sommeil total divisé par le temps d’enregistrement total multiplié par 100), la latence d’endormissement (temps passé entre l’extinction des lumières et la première époque autre que de l’éveil), la latence d’apparition du sommeil paradoxal (temps passé entre l’endormissement et la première époque de sommeil paradoxal), le temps d’éveil après endormissement (temps passé éveillé après l’endormissement jusqu’à l’allumage des lumières).
L’archange de la nuit s’intéresse aussi à la microarchitecture du sommeil d’Alina, notamment en quantifiant sur le tracé en électroencéphalogramme de ses micro-éveils, définis comme étant une modification rapide avec accélération de celle-ci pendant une durée de 3 à 15 secondes.
Plus accessoirement, il a proposé le concept de Cycling Alternating Pattern pour refléter l’instabilité de son sommeil pendant le passage de la comète d’Ensisheim.
Ces événements électro-physiologiques de son sommeil lent sont caractérisés par la répétition de séquences d’activation et de désactivation qui apparaissent à des intervalles de 2 à 60 secondes.
Enfin, l’archange de la nuit utilise l’analyse numérique, qui est complémentaire de l’analyse visuelle et ne peut en aucun cas la remplacer.
La technique qu’il emploie pour ceci est l’analyse spectrale par transformée, qui permet de définir les fréquences dominantes au niveau de l’électroencéphalogramme.
En particulier, l’activité delta est supposée être un marqueur fiable de l’intensité du sommeil d’Alina, se dit l’archange de la nuit, qui se rend compte que son entreprise est plus longue et plus laborieuse que ce qu’il ne le pensait au début.
« Sainte vierge des tueurs, aide-moi à finir ces recherches qui ne servent à rien, strictement à rien ! », se dit-il, pendant qu’Alina, ses soixante-sex kilos déposés de manière nonchalante sur une chaise longue, le regarde fixement, en léchant un cône de glace à la vanille.







L’archange de la solitude avait une crypte au fond de son appartement.
Et un jour il demanda à Alina : « Enterre moi vivant ici et ne le dis à personne ».
Et pénétrant dans ce lieu obscur, il abandonna totalement son esprit au désir qu’il avait pour elle, sans plus surveiller sa pensée et sa raison.
Et un jour, entendant qu’elle était chez lui pour arroser ses plantes, comme il lui avait demandé, il tapa sur la porte lourde de sa crypte et la supplia en disant : « Alina Alina Alina, trouve vite les clés de cette porte et fais-moi la charité de me sucer, une fois, rien qu’une fois, car je suis accablé par la solitude, et par ce désir idiot que j’ai pour toi ! »
Mais Alina ne pouvait pas entendre sa supplication, car elle écoutait le Boléro dans ses écouteurs.



J'aimerais exprimer mon immense reconnaissance envers Olivier Menard, dont les recherches en psychiatrie ont inspiré la majorité de ces poèmes, et envers Sylvain Manet, qui a édité les textes et a pris les photos.



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